ou l’art de faire compliqué quand ça pourrait être simple…
Auvillar, c’est haut, mais c’est joli
et hier, c’était comme ça…
ou l’art de faire compliqué quand ça pourrait être simple…
Auvillar, c’est haut, mais c’est joli
et hier, c’était comme ça…
« Le camion n’est plus qu’un point. Je suis seul et les montagnes m’apparaissent plus sévères. […] Le pays me saute au visage. C’est fou comme l’homme accapare l’attention de l’homme. […] La solitude est cette conscience qui vous rend la jouissance des choses. […] Être seul, c’est entendre le silence ».
Sylvain Tesson – Dans les forêts de Sibérie
J’ai toujours trouvé que Sylvain Tesson avait une vision extrême de l’aventure, un côté « trash » parfois, et son expérience de 6 mois dans une cabane sur les bords du lac Baïkal est une démonstration de l’extrémisme dont il est capable. Pourtant, je reste enchantée de le lire, pour ces phrases « choc » qui résonnent, et résonnent encore. Cet extrait choisi de son premier jour dans sa cabane, dépeint exactement la sensation que je ressens, le matin, les jours où je quitte seule le gîte : « être seul, c’est entendre le silence ».
J’adore ce premier moment de la journée. Départ un peu avant 8h. L’air est encore frais. La rosée sur les herbes du bas côté mouille encore les chaussures. Je commence à marcher en silence, en écoutant les insectes, les oiseaux, et les coqs qui m’accueillent quand je traverse un hameau. Je finis de me réveiller avec la nature qui s’éveille, elle aussi. Avec le soleil qui monte dans le ciel, la chaleur qui arrive doucement. Et puis j’enlève ma veste au bout d’une heure. La journée peut commencer.
Ce que j’aime, c’est marcher comme ça, 1h30 ou 2h, jusqu’au prochain village. Et puis s’installer en terrasse, même quand il fait gris. Commander un café. Et attendre les autres pèlerins qui arrivent au compte goutte. L’un et l’autre qui me rejoignent pour un café. Le premier repart vite, pressé d’arriver, l’autre s’installe et on en commande un second. Un troisième arrive et reprend un petit déjeuner ou décide de déjeuner en fin de matinée. Il est 11h. Je croise dans le village ceux qui sont partis à 6h et qui finissent leur étape, les trois alsaciens « lèvent tard » qui arrivent doucement, alors que je repars pour 2h de marche avant ma pause déjeuner. Je suis de ceux qui préfèrent marcher 15 km avant le déjeuner, plutôt qu’après. A chacun son rythme. Mais on se retrouve toujours.
Fait marquant de la journée : en arrivant au gîte, hier, je tombe sur cette note.
Ça donne ça, avec vue sur le cimetière ???
3 ou 4 jours que je traverse les Causses, avec le sentiment d’être presqu’en Écosse en regardant le ciel gris. Les autochtones, eux-mêmes surpris de servir de la soupe en plein mois de mai, nous certifient que ce temps frais et pluvieux est inhabituel… Plus que la météo, ce qui m’a marqué jusque-là, dans la traversée des Causses, ce sont les cultures de chênes (pourquoi? Les truffes??? Vu les barbelés autour des parcelles, on se demande) et celles de cailloux… Oui, oui, des cailloux, genre calcaire. Il y en a des champs entiers, où rien ne pousse. Démonstration :
En bref, des chemins très agréables, une terre qu’on sent pauvre, des paysages pelés que j’affectionne et très peu d’habitations.
Mais ce que je retiens des Causses, c’est aussi les indications du Chemin vers Compostelle pour le moins confues (vous ne voyez peut-être pas bien, mais Cajarc est inscrit 2 fois, dans 2 directions différentes, avec 2 kilométrages différents, sur ce poteau qui porte l’indication GR 65 de tous les côtés… Concentration indispensable…).
Les burons en pierres sèches qui servaient (ou servent encore) aux bergers :
Les chenilles vert fluo… Une éternité que je n’en avais pas vues autant. Elles sont pendues par un fil de soie depuis les branches des chênes et il n’est pas rare qu’on les collecte en passant… Dans les cheveux, la capuche, les manches….
Et le mauvais goût de certains, pas propre aux Causses, j’en conviens…
Fait marquant des deux derniers jours : mon premier « monument champêtre » à la gloire de la coquille Saint-Jacques… Uniquement en coquilles Saint-Jacques, toutes colorées, et qui font « bling bling » avec le vent (j’avais bien dit « mauvais goût »). Tout le village de St-Jean-de-Laur a du s’y mettre.
Quand je suis arrivée sur ce « monument », je marchais avec un Jean-Claude qui dit « mais qu’est-ce que c’est que ça? » devant presque tout ce qu’il voit, et ensuite, il sort l’appareil photo pour immortaliser l’objet de son interrogation… C’était un peu surréaliste… Voire beaucoup…
J’ai du mal à dire au revoir aux gens. J’ai du mal et j’ai mal, même, parfois. J’y ai pensé toute la journée, aujourd’hui, en marchant seule après avoir laissé Nadine et Didier sur la route de Rocamadour. Il y a quelques jours, ça avait déjà été le tour de Denis et Bernard, à Estaing. Voilà donc presque 15 jours que je marche et déjà quelques « au revoir ».
Je sais dire au revoir et quitter des lieux, des situations ou circonstances, mais j’ai souvent plus de mal à quitter les gens avec lesquels il y a eu une forme de partage. Ceux qui ont partagé une semaine ou quinze jours de vacances. Ceux avec qui j’ai étudié ou travaillé. Et sur le Chemin de St-Jacques, c’est parfois ceux avec qui j’ai marché, un peu, beaucoup, ou ceux avec lesquels on a passé une soirée chaleureuse. Et ce sera même sans doute ceux avec qui je passerai une heure seulement, mais chacun aura traversé la vie de l’autre. Quelqu’un m’a dit un jour qu’on est fait des gens qu’on rencontre. Le Chemin aussi est fait des gens qu’on rencontre, et qu’on garde un peu avec soi, pour le reste de la route.
Hier a été une journée « surprise » : la pluie était annoncée (encore… Je reviendrai plus tard sur ce que c’est que de marcher sous la pluie toute une journée…) et on a finalement eu grand beau pour quitter l’Aveyron et fouler les chemins du Lot. Au fur et à mesure des kilomètres, on voit les paysages changer, les pierres passent du gris à l’ocre, la tuile remplace l’ardoise, les moutons prennent la place des Aubracs dans les prés, le Cahors remplace le Marcillac dans les verres : tout semble nous dire qu’on avance!
Et voilà la « recette du jour », celle qui permet de soigner une tendinite naissante.
L’astuce du chef : l’ingrédient le plus important, c’est le 3 bis, dit « ingrédient miracle »… Pas toujours fastoche à trouver (d’ailleurs, s’il est en 3 bis, c’est que je l’avais moi-même oublié…) mais indispensable.
Deux choses m’ont fait choisir la Via Podiensis qui part du Puy-en-Velay : traverser le plateau de l’Aubrac, et retrouver Pierre Soulages à Conques, ou plutôt, ses vitraux dans l’abbatiale.
Il y a un an et demi, la visite du Musée Soulages à Rodez avait généré chez moi un vrai coup de foudre. Depuis, j’ai gardé un dépliant touristique sur Conques et je me disais que j’irai, un jour.
J’y suis. Et je ne suis pas déçue. Je suis déjà fan des contrastes entre les périodes et styles artistiques : j’aime les colonnes de Buren dans la cour du Palais Royal, la Pyramide du Louvre et même le Centre Georges Pompidou. Et j’ajoute à la liste les vitraux de Soulages. J’aime leur simplicité gracile, qui laisse intact le côté brut du style roman de l’abbatiale, tout en y apportant une certaine douceur. J’aime les mouvements doux qu’ils apportent à l’édifice robuste. Ce matin, pour arriver à Conques, mon compagnon de Chemin du jour et moi avons traversé des paysages battus par un vent très fort. Sur les champs de blé encore vert, on aurait dit qu’il y avait des vagues vertes, un peu ondulantes. Les mouvements des vitraux m’ont exactement fait penser à ces ondes sur les champs traversés ce matin.
Et la nuit, les vitraux sont encore plus beaux : ils deviennent bleu nuit et doré, presque couleur bronze. Pour moi, c’est là toute l’intelligence de Soulages : des vitraux qui évoluent avec la luminosité, comme ses Outrenoirs.
Et puis Conques correspond à mon dixième jour de marche depuis le Puy : un petit bilan s’impose!
Bilan technique et santé :
-J’ai passé la barre des 200 km ce matin (whaouuuuuu!!!!) : 209 km parcourus, « plus que » 1 313 km jusque Santiago…
-Pour arriver jusque-là : aucune ampoule aux pieds à déclarer (viva la pommade NOK!!!! Hip Hip Hip! Hourrrraaaa!) et pas de gros bobo (pour le moment).
Mes mollets douloureux et raides le matin, en descendant les escaliers, ont pris l’habitude des 20 bornes de moyenne par jour… Le plus dur, pour moi, c’est le sac à dos. Les 4 ou 5 premiers jours (donc 50% du temps quand même…) mon dos n’a été que douleurs. Les lombaires en feu le 1er jour, les épaules le lendemain, et qui me font toujours souffrir dès que je suis fatiguée (j’en fais un indicateur : épaules qui font mal = arrête-toi). J’ai eu les os des hanches (sur lesquels repose la sangle du sac à dos) douloureux aussi. Bref, il y a des jours, je rêverais presque de mon ostéopathe!…
Comme me le disait un « amoureux du Chemin », croisé à St-Chély, alors qu’il emmenait ses amis jusque Conques : « je pouvais leur expliquer la marche, l’ambiance, les paysages, les gîtes. Mais ce que je ne pouvais pas leur raconter et qui est une partie importante du Chemin, c’est la douleur ». Et il a raison. Non pas que le mal nous amuse, nous, pèlerins, mais notre corps, notre moyen de transport, est devenu notre plus importante préoccupation. Quand on marche, on devient hyper-sensible au moindre ressenti, au moindre tendon qui tire (celui du pied droit en ce qui me concerne), au moindre muscle qui faiblirait, au moindre caillou qui amènerait au faux pas. Les uns s’arrêtent 24 h, le temps de faire cicatriser une mauvaise ampoule qui leur a laissé le talon à vif, les autres se trouvent un bâton dans les bois pour soulager une hanche qui fait mal ou une cuisse qui tire dans les montées. Perso, je me fais des onguents de crème à l’Arnica sur les jambes les soirs des étapes difficiles. Étirements du dos et des mollets tous les jours. En fait, on réapprend à écouter son corps et ce qu’il veut nous dire. Ça paraît simple, mais nos habitudes nous ont souvent éloigné de ce bon sens, malheureusement.
-Dans le bilan technique, je peux ajouter -2 kg dans mon sac à dos, dont 1,5 kg dégagés au bureau de poste de St Alban sur Limagnole (on m’avait prévenue!!!) :
-« Quoi??? Tu as largué ton sac de couchage??? Mais tu feras comment en Espagne, sans couverture, ni sac de couchage???
-Tant pis, je dormirai toute habillée s’il fait froid. »
Bilan du reste, quelque part entre le moral, le mental et le spirituel :
Dans l’ensemble, je dirais « bon, quoi qu’un peu mitigé parfois ». Bon, parce que ça va, globalement. Il y a certes des matins où c’est plus difficile de prendre la route que la veille, mais globalement, ça va.
Et parfois, je suis étonnée, mitigée, tiédasse : je constate que jusque-là, j’ai rencontré peu de gens qui parcourent le Chemin en mode « lâcher prise », en mode « je vais là où mes jambes me porteront ». Ça me surprend. Il paraît que ceux-là, je les retrouverai sur la longueur, plus tard. Pour le moment, face à la grande liberté que peut offrir le fait de parcourir un chemin comme on le veut, j’ai l’impression que beaucoup se recréent des contraintes, des freins, des cadres.
La « réservationnite aiguë » due au week-end de l’Ascension m’a pris la tête quand on me demandait dès 9h du matin, une semaine avant :
-« T’as réservé pour ce soir?
-Non.
-T’as réservé pour le pont de l’Ascension?
-Non plus ». Ce qui m’a certes valu d’avoir du mal à trouver de quoi dormir pour 3 nuits, mais j’ai trouvé.
Il y a ceux qui suivent texto les étapes des guides :
-« 33 km demain, c’est énorme, j’y arriverai pas!
-Ben arrête-toi plus tôt.
-Oui, mais le guide met 33 km pour l’étape suivante!
-…?!!?… »
Et il y a les sportifs, qui se chronomètrent presque, se dopent à l’aspirine le soir, se donnent 1 mois pour telle distance, ou 50 jours pour aller du Puy à St-Jacques…
Moralité : ça donne l’impression que de se laisser ré-apprivoiser par la liberté d’être, de choisir, d’avancer ou non (la Liberté, quoi), ce n’est pas si simple… À méditer…
Fait marquant de la journée : en appelant pour trouver mon hébergement du jour à Conques, je demande s’il y a une épicerie dans le village. On me répond :
-« Non, l’épicerie de Conques a fermé et n’a jamais été réouverte. Si vous cherchez une reconversion, ça peut être une excellente idée, ce serait bien utile!
-…?! »
Et tout à l’heure, j’ai adoré une maison magnifique chargée de glycines dans le village. En la prenant en photo, je me suis rendue compte qu’elle était à vendre… Coïncidences??? ?
Y’en a marre! Ras le bol des touristes et autres « randonneurs du dimanche » qui viennent marcher 3 jours pour le « pont » de l’Ascension! Non seulement, ils narguent les pèlerins en nous doublant dans les montées interminables avec leurs petits sacs à dos de 2 kg à peine, mais en plus, ils nous piquent les lits dans les gîtes d’étape!! En ce week-end prolongé, les pèlerins galèrent pour trouver un lit dans un gîte (je parle d’un truc pour dormir, un matelas sur le sol fait l’affaire, je ne parle même pas d’une chambre), tandis que les touristes arrivent en groupe, piquent les places, tout ça pour payer moins cher. Tout simplement SCANDALEUX!
Hier, j’ai passé 2 heures à appeler tous les points de chute possibles entre Espalion et Conques. Après plus de 22 km compliqués sous une chaleur arrivée en un claquement de doigt, j’avais espéré une fin de journée différente! Un gîte d’étape devrait imposer la crédenciale (sorte de « passeport du pèlerin ») à l’entrée des gîtes. J’ai envie de les insulter quand j’en vois un passer!!!!!!!!!
Et comme m’a dit le Père Michel de l’Abbaye de Ste-Foy à Conques, hier au téléphone, après m’avoir expliqué que le dortoir de l’Abbaye était déjà complet 4 soirs de suite (dortoir de près de 100 places) : « et surtout, excellente Ascension »… Ben voyons…
Fait marquant de la journée : hier, je suis passée à St-Côme-d’Olt, village-bijou sur les bords du Lot, idéal pour une semaine de vacances. À recommander et à retenir pour plus tard. Sur mon dessin, c’est le toit de la flèche de l’église qui se tord comme une flamme vers le ciel.