Deux choses m’ont fait choisir la Via Podiensis qui part du Puy-en-Velay : traverser le plateau de l’Aubrac, et retrouver Pierre Soulages à Conques, ou plutôt, ses vitraux dans l’abbatiale.
Il y a un an et demi, la visite du Musée Soulages à Rodez avait généré chez moi un vrai coup de foudre. Depuis, j’ai gardé un dépliant touristique sur Conques et je me disais que j’irai, un jour.
J’y suis. Et je ne suis pas déçue. Je suis déjà fan des contrastes entre les périodes et styles artistiques : j’aime les colonnes de Buren dans la cour du Palais Royal, la Pyramide du Louvre et même le Centre Georges Pompidou. Et j’ajoute à la liste les vitraux de Soulages. J’aime leur simplicité gracile, qui laisse intact le côté brut du style roman de l’abbatiale, tout en y apportant une certaine douceur. J’aime les mouvements doux qu’ils apportent à l’édifice robuste. Ce matin, pour arriver à Conques, mon compagnon de Chemin du jour et moi avons traversé des paysages battus par un vent très fort. Sur les champs de blé encore vert, on aurait dit qu’il y avait des vagues vertes, un peu ondulantes. Les mouvements des vitraux m’ont exactement fait penser à ces ondes sur les champs traversés ce matin.
Et la nuit, les vitraux sont encore plus beaux : ils deviennent bleu nuit et doré, presque couleur bronze. Pour moi, c’est là toute l’intelligence de Soulages : des vitraux qui évoluent avec la luminosité, comme ses Outrenoirs.
Et puis Conques correspond à mon dixième jour de marche depuis le Puy : un petit bilan s’impose!
Bilan technique et santé :
-J’ai passé la barre des 200 km ce matin (whaouuuuuu!!!!) : 209 km parcourus, « plus que » 1 313 km jusque Santiago…
-Pour arriver jusque-là : aucune ampoule aux pieds à déclarer (viva la pommade NOK!!!! Hip Hip Hip! Hourrrraaaa!) et pas de gros bobo (pour le moment).
Mes mollets douloureux et raides le matin, en descendant les escaliers, ont pris l’habitude des 20 bornes de moyenne par jour… Le plus dur, pour moi, c’est le sac à dos. Les 4 ou 5 premiers jours (donc 50% du temps quand même…) mon dos n’a été que douleurs. Les lombaires en feu le 1er jour, les épaules le lendemain, et qui me font toujours souffrir dès que je suis fatiguée (j’en fais un indicateur : épaules qui font mal = arrête-toi). J’ai eu les os des hanches (sur lesquels repose la sangle du sac à dos) douloureux aussi. Bref, il y a des jours, je rêverais presque de mon ostéopathe!…
Comme me le disait un « amoureux du Chemin », croisé à St-Chély, alors qu’il emmenait ses amis jusque Conques : « je pouvais leur expliquer la marche, l’ambiance, les paysages, les gîtes. Mais ce que je ne pouvais pas leur raconter et qui est une partie importante du Chemin, c’est la douleur ». Et il a raison. Non pas que le mal nous amuse, nous, pèlerins, mais notre corps, notre moyen de transport, est devenu notre plus importante préoccupation. Quand on marche, on devient hyper-sensible au moindre ressenti, au moindre tendon qui tire (celui du pied droit en ce qui me concerne), au moindre muscle qui faiblirait, au moindre caillou qui amènerait au faux pas. Les uns s’arrêtent 24 h, le temps de faire cicatriser une mauvaise ampoule qui leur a laissé le talon à vif, les autres se trouvent un bâton dans les bois pour soulager une hanche qui fait mal ou une cuisse qui tire dans les montées. Perso, je me fais des onguents de crème à l’Arnica sur les jambes les soirs des étapes difficiles. Étirements du dos et des mollets tous les jours. En fait, on réapprend à écouter son corps et ce qu’il veut nous dire. Ça paraît simple, mais nos habitudes nous ont souvent éloigné de ce bon sens, malheureusement.
-Dans le bilan technique, je peux ajouter -2 kg dans mon sac à dos, dont 1,5 kg dégagés au bureau de poste de St Alban sur Limagnole (on m’avait prévenue!!!) :
-« Quoi??? Tu as largué ton sac de couchage??? Mais tu feras comment en Espagne, sans couverture, ni sac de couchage???
-Tant pis, je dormirai toute habillée s’il fait froid. »
Bilan du reste, quelque part entre le moral, le mental et le spirituel :
Dans l’ensemble, je dirais « bon, quoi qu’un peu mitigé parfois ». Bon, parce que ça va, globalement. Il y a certes des matins où c’est plus difficile de prendre la route que la veille, mais globalement, ça va.
Et parfois, je suis étonnée, mitigée, tiédasse : je constate que jusque-là, j’ai rencontré peu de gens qui parcourent le Chemin en mode « lâcher prise », en mode « je vais là où mes jambes me porteront ». Ça me surprend. Il paraît que ceux-là, je les retrouverai sur la longueur, plus tard. Pour le moment, face à la grande liberté que peut offrir le fait de parcourir un chemin comme on le veut, j’ai l’impression que beaucoup se recréent des contraintes, des freins, des cadres.
La « réservationnite aiguë » due au week-end de l’Ascension m’a pris la tête quand on me demandait dès 9h du matin, une semaine avant :
-« T’as réservé pour ce soir?
-Non.
-T’as réservé pour le pont de l’Ascension?
-Non plus ». Ce qui m’a certes valu d’avoir du mal à trouver de quoi dormir pour 3 nuits, mais j’ai trouvé.
Il y a ceux qui suivent texto les étapes des guides :
-« 33 km demain, c’est énorme, j’y arriverai pas!
-Ben arrête-toi plus tôt.
-Oui, mais le guide met 33 km pour l’étape suivante!
-…?!!?… »
Et il y a les sportifs, qui se chronomètrent presque, se dopent à l’aspirine le soir, se donnent 1 mois pour telle distance, ou 50 jours pour aller du Puy à St-Jacques…
Moralité : ça donne l’impression que de se laisser ré-apprivoiser par la liberté d’être, de choisir, d’avancer ou non (la Liberté, quoi), ce n’est pas si simple… À méditer…
Fait marquant de la journée : en appelant pour trouver mon hébergement du jour à Conques, je demande s’il y a une épicerie dans le village. On me répond :
-« Non, l’épicerie de Conques a fermé et n’a jamais été réouverte. Si vous cherchez une reconversion, ça peut être une excellente idée, ce serait bien utile!
-…?! »
Et tout à l’heure, j’ai adoré une maison magnifique chargée de glycines dans le village. En la prenant en photo, je me suis rendue compte qu’elle était à vendre… Coïncidences??? ?
La maison aux glycines – Conques