Cette nuit, je me suis réveillée vers 2h30, et me suis mise à penser à ça : avoir conscience que ce que j’ai déjà parcouru, ne sera plus. Je pourrai toujours le refaire, mais ce sera forcément différent, forcément vécu différemment, forcément ressenti différemment. Penser à cela ne facilite pas l’endormissement (…). Il y a une sorte d’urgence qui se crée : l’urgence de vivre se fait encore plus pressente.

 

Ce matin, en partant, j’ai repensé et poursuivi cette reflexion nocturne et j’ai marché en ayant la pleine conscience de l’excusivité du moment. En profitant de ce dernier lever de soleil magnifique sur la Rioja. En écoutant les oiseaux se réveiller et les bas côtés vrombir au rythme des insectes. En sentant l’air du petit matin souffler sur mon chèche posé sur mes bras,  parce qu’il faisait un peu frais. La conscience du moment présent, cet instant où on a fait la paix avec le passé (rien ne sert de résister, on ne changera rien) et où on ne court pas après le futur (adviendra que pourra).

En marchant, j’avais la mélodie d’une chanson de Vincent Delerm dans la tête (pour ceux qui l’ignoreraient, je suis une fan inconditionnelle de Vincent Delerm… J’ai pris l’habitude de dire cela de façon très convaincue pour être convaincante, car en général, c’est à ce moment là que je me heurte à des sourires en coin, voire des rires moqueurs… Oui, on peut être fan de Vincent Delerm, je vous expliquerai : c’est une question d’angle de vue…), une chanson de Vincent Delerm disais-je, Ces deux-là, dans laquelle on entend « à cet instant il pensa voilà c’est la fin de cette partie-là de l’histoire. La fin de cette vie-là' ». C’était tout à fait ça. Vivre en pleine conscience du moment présent. Pourquoi est-ce si difficile, dans d’autres conditions?

Le ruban entre la Rioja et Castille et Léon.

Le ruban entre la Rioja et Castille et Léon.

 

Peut-être que, comme le disait Roland, un hongrois que je croise et recroise depuis une semaine, c’est un peu comme si nous vivions une expérience dans un monde parallèle. Lui expliquait il y a 2 jours qu’il a laissé femme et enfants en Hongrie pendant un mois, pour vivre ça. Et que, contre toute attente, certaines de ses rencontres récentes sur le Chemin lui manquaient plus que sa famille, à qui il a tant de mal à exprimer ce qu’il vit (comme nous tous ici, d’ailleurs). C’est cette impression qui donne la sensation du monde parallèle. On suit les flèches jaunes sur le Chemin, on ne pense pas avant d’y être où l’on sera dans quelques heures, tous les contacts sont faciles, avec les autres pèlerins, ou dans les villages, avec les habitants qu’on croise. Tout est finalement réuni pour être présent, et c’est tout.

 

En me disant cela ce matin, je pensais aussi à tous ceux qui m’ont déjà dit que pour partir marcher dans le désert comme je l’ai fait, ou sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, je devais avoir une faute à expier (?!) ou je voulais vraiment fuir mes problèmes. A ces gens là, je n’ai jamais répondu : j’aurais passé trop de temps à expliquer quelque chose qu’ils ne sont sans doute pas disposés à comprendre, ni même à toucher du doigt. La bonne réponse, c’est sans doute celle de Sylvain Tesson qui dit, toujours dans sa cabane sur les bords du lac Baïkal : « la fuite, c’est le nom que donne les gens ensablés dans les fondrières de l’habitude à l’élan vital ». Merci! Je crois que c’est un peu cela que l’on vit au présent sur le Chemin vers Saint-Jacques de Compostelle : l’élan vital, au présent et au quotidien.

L'élan, à Santo Domingo de la Calzada.

L’élan, aujourd’hui, à Santo Domingo de la Calzada.

 

 

PS @ Valérie : j’ai bien pensé à toi, en prenant conscience de mon moment présent et de toutes les sensations et bienfaits associés. 😉

 

Lorsque j’avais vu le film Compostelle, le chemin de la vie, j’avais été frappée par la métaphore faite dans le film, entre le Chemin et le jeu de l’oie. J’ai retrouvé aujourd’hui, à Logroño, cette même métaphore.

Sur le Chemin, lorsqu’on traverse Logroño, on passe devant l’Iglesia Santiago el Real. Sur le parvis, un immense jeu de l’oie, jeu très populaire en Espagne, est dessiné avec les pavés sur le sol. J’apprends ainsi que l’origine de ce jeu est lié au Chemin de Saint-Jacques : « il est tout aussi difficile d’arriver à la fin du jeu que de faire le pèlerinage de Saint-Jacques ».

Juego de la Oca.

Juego de la Oca.

Le jeu de Logroño est adapté et représente un parcours allant d’une ville du Camino Francès à l’autre, jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. Seule case du jeu conservée sur le pavé : la case de la mort. Je m’étais déjà renseignée sur la symbolique du jeu. Certaines cases représentent des moments d’attente, de réflexion, de pause dans la vie, voire des accidents de la vie : la case du puit où l’on tombe et où l’on doit attendre que quelqu’un vienne nous en sortir, la case de l’auberge où l’on reste dormir et où on passe son tour. La case de la mort, c’est un retour direct à la case départ du jeu : il faut recommencer tout le parcours. Quand on joue, et qui plus est, quand on est enfant, on déteste cette case qui peut largement compromettre les chances de gagner. Alors qu’en creusant un peu, on apprend que la case de la mort, qui renvoie au début, matérialise la fin d’un cycle pour en débuter un nouveau.

La faucheuse de Logroño.

La faucheuse de Logroño.

 

Le fait de retrouver cette seule case du jeu sur le pavé de Logroño n’est pour moi pas anodin. Le Chemin de Saint-Jacques, c’est effectivement un passage, une pause dans la vie avec « un avant » et « un après ». La fin d’un cycle et le début d’un nouveau. En tout cas, c’est tout à fait dans cet esprit que je l’ai entrepris. Et c’est aussi pour cette symbolique forte du renouveau que je tiens tant à aller à Fisterra.

 

Ma réflexion sur le renouveau et le commencement d’un nouveau cycle sur mon chemin d’aujourd’hui m’a fait repenser à une autre anecdote qui m’est arrivée il y a une semaine, lors de l’étape entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Ronceveaux.
Sur le temps de cette montée, j’ai parlé à une ou deux personnes seulement, dont un portugais qui commençait son Chemin. Il m’a expliqué qu’il pensait partir sur le Camino depuis longtemps et qu’il s’était enfin décidé. Dans l’échange, il m’a aussi dit qu’il était sûr que l’année était bien choisie. Ah bon?! Il était en effet adepte de la numérologie et le voilà parti dans une séance de numérologie en plein brouillard… Il m’explique que le chiffre 9 est le chiffre symbole du renouveau, et matérialise la fin d’un cycle, et le début d’un autre, (tiens, tiens…) et que nous sommes en 2016 : 2+0+1+6=9… (…?!?!). Et de continuer son explication : ce jour là, le jour où nous passions les Pyrénées, nous étions le 31 mai, le 31/05 : 3+1+0+5=9… (…?!?!).
Je ne sais pas si lui l’avait fait exprès, mais moi, c’est sûr, je n’en savais rien, c’est un pur hasard, et je veux croire en un heureux hasard. Il ne m’en fallait pas davantage pour que j’y vois là un signe que tout, sur mon Chemin, est désormais aligné.

 

 

Fait marquant de la journée : la sortie de Logroño en fin de matinée.

La sortie de la ville se fait par un parc que l’on traverse d’un bout à l’autre. À pieds, il m’a bien fallu 1h30 de marche pour en arriver au bout. Le long de ce parcours dans le parc, on croise une foule de joggers et promeneurs, de tous les âges et tous les genres. Je crois bien qu’au moins 1 personne sur 3 lançait un « Buen Camino » aux pèlerins qu’elle croisait (ça fait beaucoup de « Buen Camino » à dire le long de la promenade…). C’est un petit signe très agréable qu’on remercie à chaque fois (ça fait aussi beaucoup de « gracias », jusqu’au bout du parc…). Le « Buen Camino » que je retiens, est celui d’un jeune jogger que je voyais arriver essoufflé, tout rouge et tout suant, et qui a prononcé un « Buen Camino » chuchoté dans un soupir à bout de souffle. J’ai bien pris soin de remercier le garçon pour cet effort qui semblait être un dernier effort mais qu’il a tenu à faire.

Ces petites attentions sont autant de petits cailloux blancs de gentillesse laissés sur notre Chemin.