Autant le dire tout de suite : je n’avais pas du tout anticipé ce que ça pouvait être de marcher 1 000 km, et les répercussions directes ou non. Un petit passage en revu s’impose.
Aujourd’hui, 11 juin 2016, en marchant vers Burgos, j’ai donc passé mon millième kilomètre…. Exactement, à Burgos, ça fait 1 010 km. En l’écrivant, j’ai moi-même du mal à y croire, et à m’en rendre compte. En avançant à coup de 20 à 30 kilomètres par jour, on se voit avancer, certes, mais on ne fait pas l’addition tous les jours, alors on ne se rend pas toujours compte du total.
Il se trouve qu’en passant ces 1 000 km, coïncidence, je termine ma créanciale, la première.
J’ouvre ici une parenthèse : qu’est-ce qu’une créanciale?
Il s’agit d’un « certificat » ou un « passeport » du pèlerin. Sur le Chemin, il existe des créanciales et des crédenciales. Une créanciale est un document d’origine religieuse, catholique. Une crédenciale est laïque. Moi, j’ai eu ma créanciale à la Cathédrale Notre-Dame du Puy au Puy-en-Velay. Comme elle est pleine, je me suis procurée un deuxième « certificat » pour les 550 derniers kilomètres. Et là, j’ai eu une crédenciale, auprès de l’association des Amis du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Mais la sémantique n’a aucun intérêt. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il s’agit d’un « morceau de papier » qui reçoit chaque jour la preuve de notre cheminement sur le Chemin vers Saint-Jacques de Compostelle. Chaque gîte d’étape ou auberge a son tampon et chaque jour, on fait tamponner sa créanciale. Parfois, on peut aussi marquer son passage dans une ville en allant à l’office de tourisme, à l’église dans certains cas, et au bar ou magasin d’alimentation en Espagne.
Surtout, la crédenciale revêt un caractère très particulier pour le pèlerin, car c’est finalement un document où il retrouvera son Chemin, c’est l’unique preuve de son passage et de ses étapes.
Et surtout, une fois arrivé à Saint-Jacques, c’est la preuve contre laquelle il recevra la Compostella, une sorte de « diplôme » qui certifie qu’il a accompli le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.
Alors bien sûr, ça peut paraître anecdotique, de « collectionner des tampons sur un bout de papier », mais autant dire que ce que je viens d’écrire entre guillemets est une insulte pour un pèlerin. Sa crédenciale, c’est Son Chemin, la seule chose qui prouve où il est passé, la prunelle de ses yeux, un symbole de son cheminement. Et parfois, un souvenir ou un clin d’œil. Petit exemple : cette semaine, je suis passée à Santo Domingo de la Calzada. Le fait marquant de cette ville est que la cathédrale héberge un couple de gallinacés (un coq et une poule, je vous raconterai l’histoire une autre fois). En plus, la ville est à 550 km de Santiago. En allant à l’office de tourisme, je « me suis donc faite tamponner » (expression très usitée sur le Chemin mais incompréhensible hors cadre…) et j’ai un super tampon avec deux poulets et l’inscription « 550 km ». Et ça, c’est cool! (Sourire, contentement, joie simple).
Fermeture de la parenthèse.
Une créanciale pleine, c’est une petite fierté en soi. Ça matérialise le parcours :
Créanciale 1/2 : côté face
Créanciale 2/2 : côté pile… Cherchez les poulets!!!
Avec les 1 000 km est venue la question de l’usure des chaussures… Jusque-là, je n’y songeais pas, même si j’avais vu Jean-Maurice en changer à Pampelune. 250 km plus loin, il faut me rendre à l’évidence : je n’avais pas pris la garantie « 250 km de plus, pour 1€ de plus », et là, il est grand temps.
La révision des 1000 km… Des godasses déglinguées.
Je me suis en particulier dit cela il y a 3 jours lorsque je me suis blessée. Les chaussures usées et devenues trop lâches ne tenaient plus suffisamment mon pied, et c’est là que les orteils se baladent dans la chaussure et paf!, un truc qui ressemble à une contracture musculaire « bien comme il faut », avec une douleur qui irradie dans tout le pied jusqu’à la cheville…. Ça m’est arrivé en fin de matinée, un jour où il faisait plus de 30 degrès, sur une portion du chemin dans les champs et sans aucune ombre… Les 10 km qui ont suivi ont été très très très douloureux… J’en pestais!!!
Depuis, je marche à l’anti-inflammatoire, local ou en médicament, massages plantaires qui font un bien fou, remèdes d’huiles essentielles des uns et des autres, consultation et recommandation au Centro de Salud, lorsqu’on en trouve un ouvert. Ça ne m’a pas empêché de marcher. Voire, hier, le Chemin était avec moi : la pluie de la nuit avait rafraîchit les températures, et les 12 premiers kilomètres de la journée étaient sur un chemin caillouteux, aux reliefs doux, qui m’ont fait l’effet d’un massage de réflexologie plantaire. Non, je ne suis pas maso, je vois juste la chose positive qui a réduit la douleur. C’est le principal!
Aujourd’hui, ma première mission en arrivant à Burgos, c’était de trouver une nouvelle paire de chaussures pour accompagner les kilomètres restants.
Arrêt au stand : changement de pompes!
Et en plus, elles sont bleues! Pas fait exprès , mais assorties au reste de mon camaïeu bleu/indigo/violet…
Cet après-midi, c’est donc un repos forcé à Burgos. Forcé, parce que la sagesse veut qu’un peu de repos ne soit pas de trop pour mon pied gauche, mais je n’avais aucune envie de rester là… Du coup, j’essaie les nouvelles chaussures au Centro de Arte à Burgos (au Musée d’art moderne… rien perdu de mes réflexes de citadine…) et j’attends demain, l’heure de reprendre mon sac pour repartir. Vivement!
Fait marquant de la journée : aujourd’hui, Tomas est parti. Depuis Ronceveaux, je marchais avec Jean-Maurice et Tomas, une fine équipe. Tomas est parti de Saint-Jean-Pied-de-Port et voulait (et c’est bien normal) marcher seul. Il n’est pas le seul que j’ai vu quitter Burgos après la visite de la cathédrale. D’autres « amis de cheminement » ont repris le chemin directement. On s’est tous donnés rendez-vous à Leòn, de l’autre côté de la Meseta, dans 200 km. Pour moi qui devais rester là en me disant « c’est mieux pour ton pied », ça m’a fichu un sacré coup de bambou. Cafard. Gros coup de blues en errance dans Burgos… Ça aussi, ça fait parti du Chemin. Un mélange entre l’appel des flèches jaunes, la liberté que ça procure, le lien aux autres, l’écoute de soi, le respect de son corps.
Là, tout de suite, c’est dur, et j’en ai gros sur la patate.