La question qui se pose désormais est « Et si c’était à refaire? ». Ma réponse : « je foncerai! ». Petit bilan, en quelques points.

 

Sur la Via Podiensis :

Les paysages qui nourrissent : l’Aubrac remporte la palme d’or, sans aucune hésitation. La traversée du plateau de l’Aubrac est un ravissement. Le paysage est puissant. On sent une atmosphère dure, parfois glaciale, avec la pierre grise. Atmosphère qui, à l’époque où je suis passée, était à peine réchauffée par le jaune pâle des champs de jonquilles. Une expérience fabuleuse.

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L’Aubrac.

Autre paysage que j’ai adoré, et découvert sur le Chemin : le Pays Basque, qui m’a fait l’effet d’une grande bouffée d’oxygène, de nature et de vie, après le Gers et les Landes qui avaient eu raison de mon moral. Le Pays Basque restera aussi gravé dans ma mémoire pour ses orages noirs et « éclatants », et les pluies quotidiennes qui m’ont fait rivaliser d’idées pour conserver la cape de pluie à portée de bâtons.

Au Pays-Basque.

Au Pays-Basque.

Je retiens aussi de mon Chemin français quelques très jolis villages comme St-Côme-d’Olt et Estaing dans la Vallée du Lot, en Aveyron ; Auvillar dans le Tarn-et-Garonne ; La Romieu et Larressingle dans le Gers.

Autre nom de village français qui me restera en tête, pour d’autres raisons : Ostabat. Dernière étape avant Saint-Jean-Pied-de-Port et la traversée des Pyrénées, ce petit village des Pyrénées-Atlantiques est le lieu où j’ai retrouvé Solange, perdue de vue sur le Chemin depuis 3 semaines. Je l’avais rencontrée pour sa première journée de marche, à Livinhac-le-Haut, et j’ai donc pu marcher avec elle pour sa dernière journée sur son Chemin cette année. A Ostabat, j’ai aussi rencontré Jean-Maurice, arrivé du Mont-Saint-Michel, et avec qui j’ai ensuite marché près d’une quinzaine de jours.

 

 

J’ouvre ici une parenthèse sur les rencontres faites sur le Chemin.

Ce sont toutes ces rencontres qui sont aussi, surtout, une part magique du Chemin. A dire vrai, je pense que les gens qu’on rencontre à cette occasion gardent une sorte « d’aura » un peu fabuleuse, un « truc en plus ». Ils restent associés au moment de cette rencontre, là-bas, sur le Chemin, dans cet espace temps particulier.

Je garde un souvenir fort des moments de rigolades sous la neige avec Denis et Bernard, Ingrid (Australie) et Laars (Suède). Des coups de gueule de Claire contre les touristes qui prennent la place des pèlerins dans les gîtes d’étapes le week-end de l’Ascension.  Nadine, avec qui j’ai marché une journée, mais quelle journée! Et Nadine et moi savons que cette journée ne sera pas la seule que nous partagerons. Et puis Solange, Katia (Belgique), Claude, Frédéric, Eric, Antoine, Didier, le franco-québécois qui descendait par la Via Podiensis pour remonter par la voie de Tours, Sylvie, Jean-Maurice, et en Espagne Tomas, Ursula (Allemagne), Jan (Pays-Bas), Roland (Hongrie), Dan (USA), le slovène qui marchait 45 km par jour, les deux suédoises qui marchaient avec la finlandaise et tous ceux dont les noms ne me reviennent pas tout de suite mais qui étaient pourtant là.

La magie des rencontres que l’ont fait sur le Chemin tient aussi du fait qu’on est surpris parfois en retrouvant des amis du Chemin plusieurs semaines après les avoir perdus de vue. J’ai rencontré Frédéric, qui venait de la frontière suisse à pieds, le premier jour avant mon départ, le 28 avril, à l’accueil des pèlerins du Puy-en-Velay. Je l’ai recroisé 3 semaines après, dans le Gers, puis plus d’1 mois après à Saint-Jacques de Compostelle, alors qu’il avait cheminé sur le Camino del Norte.

Eric, je l’ai croisé le jour de mon départ, le 29 avril, avec son sac de 16 kg. Blessé et contraint de s’arrêter 4 jours à Saint-Alban sur Limagnole, je l’ai retrouvé dans une albergue à Carrion de Los Condes, 1 mois et demi plus tard (!!!), sur la Meseta en Espagne !

Et puis, 3 jours avant d’arriver à Saint-Jacques, un accent de Marcel Pagnol m’a hélé : « ça fait 10 minutes que je te suis et que je cherche ton prénom ». C’était Claude, l’inséparable de Katia, à qui j’avais dit au revoir à Ostabat avant qu’ils partent aussi sur le Chemin du nord.

Moralité : sur le Chemin, un au revoir n’est jamais définitif, finalement.

Fermeture de la parenthèse.

 

Dernière chose sur la Via Podiensis : pour moi, ce chemin a été un temps de « digestion », un temps où j’ai senti à chaque pas vers l’avant ce que je laissais derrière moi. Si je reprends la métaphore de mon caillou déposé à la Croix de Fer, je dirais que sur le Chemin français, j’ai chargé mon caillou et j’y ai mis tout ce que je souhaitais abandonner. J’ai fait le vide.

 

 

Et le Camino Francès :

Le Camino Francès m’a fait l’effet d’une perfusion d’énergie, malgré la blessure, les ampoules et la douleur associée. Le Camino Francès était un retour à une liberté, attendue en vain sur la Via Podiensis.

Parmi les paysages marquants, la Meseta restera parmi mes plus belles expériences. L’immensité, les couleurs, les champs rouges de coquelicots parmi les carrés jaunes et verts des céréales, les chemins droits sur des kilomètres sans un arbre ni un village à l’horizon. Les contrastes, ensuite, lorsqu’on retrouve de la verdure et bientôt un paysage presque pyrénéen vers Foncebadon.

Les champs de coquelicots sur la Meseta.

Les champs de coquelicots sur la Meseta.

Je garde aussi un beau souvenir des premiers levers de soleil, tôt le matin, en Navarre et en Rioja.

Lever de soleil vers le col du Pardon.

Lever de soleil vers le col du Pardon.

En Espagne, plus que des lieux particuliers, ce sont des moments dont je garde précieusement le souvenir, à travers des noms qui restent évocateurs : l’église perchée d’Estella, Viana le dimanche soir, avec sa place chargée de monde et sa boulangerie ouverte dès 6h00 du matin et dont les croissants étaient délicieux, les villages du début de la Meseta : San Anton, et Castrojeriz au lever du soleil, Calzadilla de los Hermanillos et son épicier fier comme Artaban, Reliegos où l’on prend un café en écoutant Elvis, et quelques villages magnifiques qui nous font sentir que la Meseta est définitivement derrière nous : Rabanal del Camino, El Acebo.

En ce qui me concerne, je garde un souvenir tout particulier et ému de ma journée du 21 juin 2016. De la montée interminable vers la Cruz de Ferro, sous le soleil et la chaleur. De la descente qui a suivi, difficile, accidentée. Et du village qui a accueilli ma fatigue ce jour-là, Riego de Ambros.

Et puis la sensation particulière lorsqu’on arrive à Saint-Jacques et qu’on est partagé entre deux sentiments antinomiques : l’envie de s’exclamer « déjà ! » parce qu’on ne veut pas s’arrêter de marcher, et en même temps, quelque chose qui ressemble à un soulagement, car on va pouvoir se reposer. Autre sensation de soulagement : lorsque j’ai vu l’océan et lorsque je suis arrivée à la borne du kilomètre zéro à Finisterre.

 

 

 

En parcourant à nouveau mon Chemin, 3 semaines après mon retour, je ressens ce soir quelque chose qui ressemble à un sentiment d’accomplissement, couronné de sérénité.

Moralité : des Chemins, il y en aura d’autres (avec un S, sans aucun doute).

 

Le sourire du Chemin.

Le sourire du Chemin.

 

 

Never stop walking… Ne pas s’arrêter de marcher et déjà repartir. « Déjà?! »…Oui, déjà…

 

On m’a déjà plusieurs fois posé la question du passage du statut de nomade à sédentaire : qu’est-ce que ça fait, après avoir marché tous les jours pendant plus de 2 mois, de ne pas repartir marcher tous les matins? Moi, ça me fait du bien. Plus précisément, ça fait du bien à mes pieds, qui se réparent doucement. Et puis marcher 20 à 30 kilomètres par jour, c’est éprouvant pour l’organisme. Au bout de 10 jours, je commence seulement à me sentir moins fatiguée. Donc, oui, ça m’a fait du bien de m’arrêter, et de ne rien faire. Car depuis 10 jours, je ne fais rien, à part dormir, lire, ouvrir l’œil et observer, et penser à repartir.

Penser à repartir, mais pour où? Aucune idée. Quand? Bientôt. Encore à pieds? Pourquoi pas. Longtemps? Je ne sais pas. Pour le moment, je ressens surtout l’envie d’être ailleurs que là où je suis, mais sans savoir vraiment où j’ai envie d’être. Repartir ne m’ennuie pas. L’envie de repartir ne m’effraie pas. Ce qui m’interpelle davantage, c’est est-ce que j’aurai encore cette envie au retour : ai-je envie de repartir (pour revenir) ou de partir (pour ailleurs)?

 

Au bout d’un moment, ça commence à faire beaucoup de questions. D’ailleurs, ça fait même plus de questions maintenant que lorsque je suis partie en avril… Bon, ben alors, ça servait à quoi, de marcher pendant 1 600 km, si c’est pour avoir un tas de questions plus gros à l’arrivée qu’au départ??? « Ça servait à quoi? »… La bonne question serait plutôt « ça sert à quoi? ».  Le Chemin, finalement, ça sert maintenant. Parce que maintenant, je capitalise sur ce que j’ai vécu pendant 2 mois.

 

Pendant 2 mois, j’ai marché, certes, mais j’ai fait d’autres choses aussi. Par exemple, j’ai appris.  A gérer l’effort, à écouter ce que mon corps me chuchotait à l’oreille, ce que la douleur ou la fatigue voulait me dire, d’où venait le bonheur et le bien-être. A ne pas dépasser ce que je ne pouvais pas faire (et lorsque je l’ai dépassé, j’ai souffert, j’ai compris… Et j’ai appris encore…?).

J’ai aussi appris que, du point de vue du corps et de ses capacités, il n’y a pas de règle : un jour est unique (la veille ne prédit pas ce que je suis aujourd’hui et maintenant, et j’ignore comment je serai demain. En kilomètres, ça fait : ce n’est pas parce que j’ai parcouru 30 km hier, que j’en ferai autant aujourd’hui et que je serai capable d’en faire 35 demain…) et une heure est unique (ce n’est pas parce que je suis bien maintenant, que je serai bien dans 1 heure, ou dans 4… Je me souviens notamment d’une journée où j’avais prévu, pour la première fois, de faire près de 30 km, de me sentir bien à 14h et de confirmer la réservation d’un lit à l’étape à Limogne en Quercy, et de finalement avoir un gros coup de barre 1 heure après mon coup de téléphone, et de finir très péniblement l’étape qui reste parmi les souvenirs douloureux).

La sensation que cela donne, c’est d’avoir confiance en soi et en demain, à toute épreuve. Ce que je ne fais pas aujourd’hui, parce qu’aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de le faire, je SAIS que je peux le faire, je n’ai pas de crainte, et je le ferai demain. L’idée, ce n’est pas de procrastiner à tout va, c’est d’utiliser ses ressources quand elles sont là, et d’optimiser son énergie sur le long terme.

 

L’autre sensation, c’est celle de ne pas avoir peur. Sur le Chemin, on part le matin sans savoir de quoi sera fait la journée, mais ça ne fait pas peur d’ignorer. On ne se pose pas la question d’arriver : on arrive. Plus ou moins tôt, plus ou moins en forme, on arrive. Quand un obstacle se présente, une blessure, une aide à apporter, un endroit où l’on a envie de passer plus de temps, on s’adapte et on adapte sa journée, voire les jours suivants. On fait face et d’ailleurs, on n’imagine même pas ne pas faire face. Je crois qu’avancer sans avoir peur est l’une des choses essentielles que j’ai apprises dans mon aventure. Et comme le disait ce jeune américain qui partage sa vie entre son donativo près d’Arzua en Espagne, les États-Unis, et ses travaux d’écriture et de piano à Paris : l’enjeu principal, quand on rentre du Chemin, c’est sans doute de ne pas recontacter la peur une fois de retour chez soi, ne pas se laisser ré-envahir par les peurs incessantes que nos milieux et nos sociétés nous font vivre en permanence.

 

Qu’est-ce que cela m’apporte aujourd’hui, alors que j’ai mon tas de questions devant moi? Je n’ai pas toutes les réponses aujourd’hui, mais je n’ai aucun doute sur le fait que je trouverai mes réponses demain, ou après-demain. Je n’ai pas toutes les réponses tout de suite, mais je n’angoisse pas. Le fait d’avoir un tas de points d’interrogation devant moi ne me fait pas peur, car je n’ai pas peur de ne pas trouver de réponse et je n’ai pas peur de trouver les réponses non plus. Quelque part, même, je crois que j’ai des (mes) réponses. Et j’ai confiance en mes capacités à agir, à choisir, et à m’adapter, comme sur le Chemin.

Et l’envie de repartir, dans tout cela? Je crois que de m’extirper une nouvelle fois de mon environnement me permettra surtout de refaire l’expérience du retour, sans les décalages cette fois.

Never STOP walking!!

Never STOP walking!!

 

J’ai toujours entendu dire que lorsqu’on revenait d’un voyage lointain, avec plusieurs fuseaux horaires traversés, et donc, en décalage horaire, « on récupère une heure de décalage par jour »… En général, donc, au bout d’une semaine, le décalage horaire est passé ou presque. Et bien je peux affirmer que ce n’est pas tout à fait pareil pour les retours du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Je dirais même que jusque-là, pour ce qui me concerne, la règle est inversée : « on se décale un peu plus à chaque nouvelle journée qui passe »… Explications.

 

Il y a dix jours, je suis donc rentrée chez moi. Passé le journée du 9 juillet et ce retour entouré, l’accueil chaleureux de mes amis à la gare Montparnasse (encore merci les filles et les gars!), passé la soirée énergisante qui a suivi, le réveil du dimanche a été moins chaleureux. En quelques mots, je dirais que je me suis réveillée dans un environnement qui ne me parlait plus de moi, à commencer par mon environnement direct : chez moi, l’appartement où je vis.

Ça fait drôle, et cela n’était que le début des décalages.

Mon premier réflexe a été de me retourner et de me rendormir… Une heure plus tard, je rouvre un œil, puis le second, pour me rendre compte que le décalage est toujours là. Et chez moi, il venait surtout du fait que je trouvais cet appartement bien trop rangé (ça fait sourire ceux qui me connaissent bien, j’en suis certaine), sans vie, et finalement sans moi.

 

La claque!

 

Le reste du décalage vient de l’environnement « tout-court » : le quartier où j’habite, les habitudes que j’avais, les lieux où j’aimais aller, où j’aimais me promener ou visiter.

Je suis sortie faire mes courses, rapidement, ce dimanche matin, et je me suis sentie égarée dans la supérette en bas de chez moi, puis énervée par la boulangère qui sert les clients « à la chaîne », en omettant les politesses d’usage du type « bonjour » et « au revoir ». « A Paris, ma pauvre! Que de banalités! », me dira-t-on. Des banalités, sans doute, mais des banalités avec lesquelles je savais jusque-là cohabiter, sans que cela ne m’interroge, et qui, pour le moment, me pèsent…

Ensuite, j’ai passé la limite du pâté de maison, et suis allée un peu plus loin que la rue d’à côté. J’ai ainsi passé la semaine dernière à observer. Observer le quartier, les gens, ce qu’ils font, où ils vont, ce qu’ils disent ou se disent en pêchant ici ou là des bribes de conversations. Et je me suis demandée dans quel monde j’étais revenue.

J’ai vu ces gens dans les bureaux, en me disant que je ne voulais pas y retourner, je ne voulais plus de cela.

J’ai entendu ces conversations sur la dernière mode et j’ai vu ces gens avec tous ces paquets tout droit sortis des magasins parisiens, et je me suis demandée à quoi cela pouvait-il bien servir. (Non pas que je ne sache plus à quoi sert un vêtement, mais c’est plutôt à quoi sert d’acheter pour être à la mode).

J’ai regardé les vitrines et les cartes des restaurants, et j’ai senti le décalage après mes deux mois vécus chichement, et pourtant bien vécus.

 

Moralité : la question qui me revient le plus souvent depuis dix jours, c’est « à quoi ça sert? » ou « pour quoi faire? »… Après être partie deux mois avec presque rien, mais tout ce qu’il faut pour vivre malgré tout, je ne comprends pas à quoi sert le « plus ».

 

LA CLAQUE!

 

Pour le moment, je ne cherche pas tant à répondre à toutes ces questions, qu’à vivre ces décalages pour en tirer ce vers quoi j’irai. Après. Bientôt. Je laisse reposer, décanter, on verra ce qui reste au fond et ce qui remonte finalement. Et je pense à ce panneau croisé sur le Chemin, quelque part entre Villar de Mazarife et Hospital de Orbigo : « Never STOP Walking!! »… Le Chemin continue.

 

 

 

 

Turn off the brain... And turn on the heart!

Turn off the brain… And turn on the heart!

Pour les curieux et ceux qui voudraient goûter les paysages de France et d’Espagne tout au long du Chemin, voilà deux sélections de photos. Il y a des paysages, certes, mais il y a aussi des « scènes du Chemin » du genre quelques exemples de dortoirs, la place du village avec vue sur la lessive qui sèche, quelques délices goûtés ici ou là et quelques clins d’œil « Camino » comme la collection complète des pansements pour soigner les ampoules, les indications pour trouver la prochaine pharmacie la plus proche, les fautes de goût dans la décoration des bistrots… ;b)

Sélection de photos – la Via Podiensis

Sélection de photos – sur le Camino Francès

 

Et pour rigoler un peu, et garder quelques souvenirs aussi, une sélection de la pèlerine, sous toutes les coutures (…) et avec toute la collection printemps-été 2016 « spéciale Chemin de Saint-Jacques » (à savoir un pantalon, un short, 2 débardeurs techniques… et à l’occasion, un poncho de pluie…).

Sélection de photos Fabienne – Le temps passe…

 

 

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… This is just the beginning… C’est ce qu’on lit ici, au Cap Finisterre, un peu partout.

Hier, je suis arrivée à la fin de la terre, au bout, au kilomètre 0. Et j’étais contente d’arriver. Les 90 derniers kilomètres m’avaient paru longs, toute seule. L’ambiance est aussi très différente de celle du chemin : pendant 3 ou 4 jours, les réveils du matin sont plus tardifs dans les dortoirs, les couchers aussi, la fatigue et la fête se font sentir de plus en plus. Et pour aller jusqu’au phare, à Finisterre, je m’attendais à un petit coin sauvage, et je suis tombée sur un lieu touristique, qu’on rejoint en longeant une route asphaltée. Une fois sur place, on retrouve la trace des pèlerins : des foyers éteints, des chaussures, des mots, des pierres.

Qu’importe les touristes et l’interdiction d’allumer des feux, 2 autres pèlerins, arrivés là avec leurs sacs et quelques brindilles, ont réussi à rallumer un feu, pour y laisser brûler qui d’un tee-shirt ou d’un foulard. Moi, j’ai enlevé mes chaussettes. J’en ai laissé une brûler dans les flammes. J’allais garder l’autre chaussette, et puis… À quoi bon garder une paire de chaussette unijambiste…

S’il y a une chose que j’ai apprise, sur ce chemin, c’est à laisser derrière moi des objets chargés du passé. C’est très bizarre, cette sensation d’abandonner quelque part où on ne reviendra pas (ou pas tout de suite), quelque chose qu’on a vu souvent dans sa vie (un caillou, un ruban, une chaussette). On laisse derrière soi ce quelque chose et en le quittant, on a la pleine conscience de laisser, d’abandonner tout ce qu’il contient ou tout ce qu’on y a mis. Alors ma deuxième chaussette, je l’ai laissée là-bas, calée sous une pierre ramassée au cap. J’ai laissé, avec elle, toutes les douleurs des ampoules et de mon orteil en souffrance.

 

Le kilomètre 0,00.

Au kilomètre 0,00.

 

 

Demain, je quitterai Finisterre. En même temps, je quitterai le Chemin de Saint-Jacques, pour quelques jours de repos avant de rentrer à Paris.

 

De retour chez moi, j’écrirai encore sur ce blog deux ou trois posts, pour partager ce que j’ai retenu et appris, et faire un petit bilan de mes chemins sur la Via Podiensis et le Camino Francès. Et aussi partager quelques photos et quelques anecdotes, peut-être, avec elles.

 

Au plaisir et pour la suite : this is not the end, this is just the beginning!

 

Quand j’ai vu la mer cet après-midi, au loin, alors que j’attaquais la descente de la journée après 15 km sans un village ni âme qui vive, le tout sous un soleil de plomb, j’avoue que mon premier réflexe a été de dire « enfin, la voilà! ».

Parce que désormais, j’ai hâte d’y arriver, au bout de la terre, de brûler une de mes paires de chaussettes (j’ai décidé de garder le short : même en décomposition, il peut toujours servir jusque Paris…), de profiter de la plage, et surtout, surtout, de me balader en tongs (dorées et imprimées python, pour ceux qui ne suivent pas ;b)) et d’enlever ces satanées chaussures de mes pieds qui restent douloureux!

 

Tout ça, c’est pour demain matin : je suis à « kilomètre 0,000 » moins 14,857…

Finisterre, c’est à 88,136 kilomètres (exactement…) de Santiago… Et ça semble fou, après les quelques 1 500 kilomètres parcourus, mais je les trouve très longs, ces 88,136 km…

 

Quand est-ce qu’on arrive???

 

Santiago - Finisterre : 88,136 kilomètres.

Santiago – Finisterre : 88,136 kilomètres.

 

Ma Compostela.

Ma Compostela.

24 heures plus tard, on reprend ses esprits, et on atterrit!

Je disais donc qu’hier matin, je suis arrivée à Saint-Jacques de Compostelle.

Depuis quelques jours, passé le kilomètre 100, le chemin avait des airs de « parcours du cœur » : un monde fou, tous habillés comme s’ils allaient courir le marathon de New York, évidemment un sac à dos de 2 kilos histoire de dégoûter les pèlerins endurcis (les vrais, qui ont dans les jambes quelques centaines de kilomètres), et surtout, LE signe distinctif, c’est le port de la coquille Saint-Jacques (avec la croix de Saint-Jacques, rouge, dessus) autour du cou en mode « Saint-Bernard, sauveur des montagnes ».

Hier, c’est donc dans cette foule que je suis arrivée sur la fameuse Place do l’Obradoiro. En entrant dans Saint-Jacques, au début, on suit les flèches comme toujours, et puis à un moment, on traverse une rue et on rentre dans la vieille ville. Et c’est là qu’on oublie les groupes tout de Quechua fluo vêtu autour de soi : c’est là qu’on aperçoit les flèches de la cathédrale. Moi, ça faisait déjà quelques rues que je sentais ma gorge se serrer. Une fois les flèches aperçues, il fallait que j’aille sur cette place, « pour en finir », pour me libérer de cette tension qui montait depuis 1 heure…

Une fois arrivé sur la place, on se demande tous un peu ce qu’on fait là, je crois. Voilà ce vers quoi on avance depuis des centaines de kilomètres : vers cette place. Bon, ben maintenant qu’on y est, on fait quoi??? On se regarde un peu perdu, on regarde autour de soi, et puis les kilomètres montent doucement dans la gorge et je réalise, un peu.

J’ai alors réalisé que je suis partie il y a 63 jours ; que j’ai marché tous les jours, parfois 11 kilomètres seulement, et jusqu’à 32 kilomètres d’autres jours, mais tous les jours ; que j’ai comme ça parcouru plus de 1 500 kilomètres, parfois en ayant mal, parfois en pleurant, parfois en étant joyeuse et souriante, parfois en étant lassée et en ne voyant pas le bout de l’étape, parfois en marchant en pleine conscience du moment particulier, mais toujours en étant convaincue que mon choix d’être partie sur le Chemin était le bon.

 

Une fois qu’on a réalisé tout cela, que la gorge s’est desserrée dans les larmes, on retrouve quelques connaissances du Chemin, certaines croisées il y a quelques jours, et d’autres perdues de vue depuis la France, depuis plusieurs semaines, voire depuis Le Puy pour certaines (!!). On ne s’était pas revu, et pourtant, on n’était pas si loin sur le Chemin. Ça reste un peu magique de revoir ici des pèlerins croisés avant les Pyrénées.

 

Et après? Après, il y a quelques « devoirs du pèlerin » à accomplir. Pour ma part, je suis allée à la messe, histoire de finir le Chemin à Saint-Jacques comme il a commencé au Puy. La seule différence, c’est que la messe est en espagnol, et que je ne comprends rien pendant 1 heure. Mais j’ai vu le fameux encensoir, le Botafumeiro, valser dans la cathédrale. Deuxième rendez-vous de pèlerins :  avec ma créanciale pleine et une crédenciale en cours,  j’étais fin prête pour aller « faire contrôler » mes tampons pour obtenir ma Compostela (mon « diplôme de pèlerin ») avec mon prénom inscrit en latin (« Mais y’a une erreur dans mon prénom?! », « Mais non : c’est du latin. », « Ah! Ben ouais… Évidemment… Hihi… ») et je me suis offert en plus un « certificat de distance » qui notifie mon parcours depuis le Puy à 1 515 kilomètres (au lieu des 1 522 inscrits au Puy… Diantre! Où sont donc les 7 km de différence?!).

Mais où sont cachés les 7 km manquant???

Mais où sont cachés les 7 km manquant???

 

J’avais prévu un petit discours pour saluer le moment où on me remettrait mon diplôme, comme quand on reçoit un prix ou une statuette. Je l’ai gardé sous le coude, juste pour vous :

 

(raclement de gorge, voix claire mais émue)

« Je suis un peu surprise d’avoir reçu  ce diplôme, car… (hésitation)… Je ne m’y attendais pas (…?!?!…).

Je n’ai ni producteur, ni agent, alors à la place, je souhaitais à tout prix remercier chaleureusement… Mes pieds, sans lesquels rien n’aurait été possible. Même si quelques tensions ont pu se faire sentir entre moi et le 3ème orteil de mon pied gauche, nous avons finalement réussi à marcher ensemble, y compris ces 500 derniers kilomètres plus douloureux, et je lui en suis très reconnaissante.

J’ai une petite pensée émue pour mon fournisseur officiel, Quechua, mon short déjà recousu plusieurs fois car en cours de décomposition, et les gens qui ont réfléchi au modèle de poncho « pèlerine », toujours trop court en cas de pluie, mais c’est comme tout : on s’habitue à avoir les jambes trempées, même couvertes…

J’oublie sûrement des remerciements, et m’en excuse… Merci encore pour ce diplôme pré-imprimé, pareil à tous les autres, qui salue les efforts à l’huile de genoux et de chevilles… »

 

Le gars du bureau des diplômes s’en fichait, de mon discours… Pfffff!

 

 

Fait marquant de la journée : je suis déjà repartie sur les chemins… Vers Finisterre. Parce qu’à Santiago, il règne comme une ambiance de « fin de chemin » très contagieuse, qui fait sentir que plus on traîne, plus repartir sera dur ensuite. Hier, j’ai donc pris une bonne dose de farniente qui regonfle les batteries (bar, resto, shopping… c’est comme le vélo : ça ne s’oublie pas! ?) et ce matin, je suis repartie sans trop traîner, au risque de ne jamais voir l’océan…

 

PS : le blog et les dessins, ce n’est donc pas fini non plus! Il y a encore Finisterre et au retour, j’aurai encore quelques petites choses à partager!…?

 

Les 100 derniers kilomètres jusque Saint-Jacques de Compostelle sont devant moi… Je mets bien qu’il s’agit des derniers kilomètres avant Saint-Jacques, et non les miens, car pour rejoindre Fisterra, il me faudra parcourir 90 km de plus…. Enfin, si j’arrive à repartir après Saint-Jacques de Compostelle…

 

Je suis à 3 km avant Sarria, point de départ des 100 km nécessaires et suffisants pour qu’un pèlerin à pieds obtienne à Saint-Jacques sa Compostela (en vélo, c’est 200 km). Ça fait quel effet de se dire qu’il reste 100 km?

 

D’abord, ça change le paysage, au sens propre comme au sens figuré.

Au sens propre, car hier, j’ai passé le dernier « obstacle », la dernière montagne, le Cebreiro et les deux cols qui le suivent. Et comme si cela était une destinée, je les ai passé dans le brouillard (Pyrénées remember…), j’ai passé la nuit dernière dans la descente, en pleine montagne, en plein brouillard, et suis repartie ce matin toujours dans le brouillard… Toujours est-il que le Cebreiro marque l’entrée en Galice, dernière région à traverser. Il faut imaginer un paysage de montagne, moins haut que les Alpes mais tout aussi vert, avec des maisons et bâtisses en granit, version Bretagne. Le tout fait un mélange très agréable.

Alto de Poio.

Alto de Poio.

 

Sur les chemins du Cebreiro.

Sur les chemins du Cebreiro.

 

Au sens figuré car on voit ici débarquer  sur le chemin des pèlerins d’un autre genre, avec des petits sacs à dos pour 5 jours de marche, des chaussures toutes belles, et des vêtements qui sentent encore la Soupline… (Moi, j’ai oublié ce que c’est que la Soupline et je crains devoir reprendre le mode d’emploi de ma machine à laver en rentrant chez moi…).

 

Ensuite, on réalise que c’est bientôt la fin. À dire vrai, j’ai déjà réalisé cela la semaine dernière, lorsque je me suis rendue compte à León, qu’ensuite, il me restait moins de 15 jours de marche. C’est une impression indescriptible. Je me dis « déjà », c’est déjà là, alors que je suis partie et j’ai marché chaque jour depuis presque 2 mois, 57 jours exactement aujourd’hui. J’ai du mal à me rendre compte que les 1 522 km indiqués sur ce panneau au Puy-En-Velay sont déjà presque derrière moi. J’ai du mal à me rendre compte que j’ai parcouru tout ça, à pieds. Ça me semble à moi-même incroyable.  Et pourtant, c’est effectivement vrai.

Et en même temps, je ne suis pas contre retrouver mon chez-moi, mon intimité, mon univers.

Mais j’ai aussi peur. Peur de la fin. Peur de la suite. Peur de revenir dans mon environnement après tout cela. Peur de me retrouver seule aussi. Je crois bien que c’est là ma plus grosse angoisse, après tous ces moments passés en communauté, en partage, souhaité ou forcé.

 

Et puis les derniers kilomètres, c’est aussi un rappel à l’ordre du corps. Encore. L’organisme est décidément un excellent baromètre. Cette semaine a été l’occasion de beaucoup d’émotions, beaucoup de choses laissées derrière moi, beaucoup de larmes aussi pour irriguer les vignes du Bierzo traversées avant le Cebreiro (gageons que les vendanges seront bonnes!…). Et plusieurs journées enchaînées à parcourir 30 km ou plus par jour, sous des températures oscillant entre 30 et 35 degrès jusqu’à avant hier. Alors depuis hier, et ce passage du Cebreiro, je me sens exténuée. Depuis quelques jours, je sens que mon corps arrive au bout, lui aussi, de ce qu’il peut donner. Les réveils forcés avant 6h00 dans les dortoirs me sont difficiles ces derniers jours. Je rêve de rester au lit le matin, et de me rendormir. Cela me fait parfois craindre de ne pas être capable de quitter Saint-Jacques pour les 3 jours de marche supplémentaires pour rejoindre Fisterra. Depuis le début, je sais que je veux rejoindre l’océan, et depuis quelques jours, la fatigue me fait parfois douter. Mon remède, c’est de ne pas penser à l’après Santiago, et de faire chaque pas au présent pour en profiter encore et encore. Saint-Jacques arrivera bien assez vite, pour ne pas y penser déjà.

 

 

Fait marquant de la journée : j’ai réalisé ces derniers jour que l’une des choses principales que j’aurai apprise sur ce Chemin, surtout sur le Camino Francès, c’est le bien que procure le fait de toucher les gens, de leur prendre la main, les mains, ou de les serrer dans les bras. Je ne suis pas habituée à ces rapports. Et ici, à plusieurs reprises, j’ai pu goûter le bien que font deux bras ouverts, et le bien que ça fait d’ouvrir ses bras à l’autre lorsqu’il en a besoin.

Encore ce matin, je me suis arrêtée faire une pause dans une halte « donativo », sorte de lieu d’accueil dans des endroits souvent perdus dans la nature ou un village désert. On y entre et on est accueilli « comme à la maison ». Il y a souvent un côté spirituel qui se dégage de ces endroits. Des bouddha, de l’encens, des pensées positives à partager, des canapés, des espaces pour s’asseoir, s’allonger, de la nourriture et des boissons parfois bio, toujours végétariennes. Tout cela sur le principe du « donativo », la libre participation responsable, le principe du « donne avec ton cœur ».

Suis ton cœur.

Suis ton cœur.

Les personnes qui mettent en place ces lieux sont des gens ouverts à tout, adeptes du moment présent, avec des airs hippies, passant leurs hivers en Inde pour certains. Leur mode de vie, c’est de donner pour recevoir.

Ce matin, en arrivant dans cette cour où on trouvait cette pensée à l’entrée « suis ton cœur, ton cœur est ta boussole », le premier geste qu’on a eu vers moi, c’est de me prendre le bras et la main, et de me dire « bienvenue, prends ton temps ». Comme j’avais besoin de cela ce matin! Je m’installe, je discute, un peu, je partage le silence aussi, je lis les citations. Et en partant, les deux personnes qui s’occupent de cet accueil m’ont pris dans leurs bras. Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, on ne se reverra pas, mais à ce moment, ils ont ce geste et ce don d’eux-même qui font du bien. C’est gratuit, et ça vaut tout l’or du monde. Ce genre de moments vécus sur le Chemin (il y en a eu d’autres du même genre) sont toujours les bienvenus. Ce don de soi à travers le geste, c’est là, pour moi, une découverte, un enseignement clef, je crois, dans mon cheminement.

 

Un ruban chinois quelque part en Espagne.

Un ruban chinois quelque part en Espagne.

 

Ma chère Marianne,

 

Il y a deux ans, nous revenions tout juste de ce voyage en Chine, encore décalées dans nos sommeils et nos horaires. Te souviens-tu de cette dernière journée passée en partie sur la Muraille de Chine? Tu étais partie bien plus vite et bien plus loin. Et sur la dernière tour accessible, tu avais acheté des rubans rouges, avec des messages de paix ou porte-bonheur, je ne sais plus. Tu nous les avais offerts ensuite en nous disant qu’on pouvait les accrocher sur un arbre et faire un vœu.

 

Ce ruban m’a suivi dans mes différents bureaux du 16ème étage de la Tour Mattei, accroché sur un mur, avec un petit panda que j’avais, moi, acheté à la sortie de la Muraille. Un panda décoloré à force d’avoir été exposé aux touristes des jours entiers. Ce ruban m’a suivi, en attendant le jour où un lieu particulier, un arbre particulier l’appellerait. Jusqu’à ce jour de mars où je l’ai emmené dans mes cartons. Jusqu’à ce jour d’avril où je l’ai roulé et glissé dans le fonds de mon sac à dos en préparation pour mon Chemin. Un lieu, un arbre du Chemin pourrait bien l’appeler.

 

Il y a deux jours, j’ai accroché ce ruban rouge. Non pas sur un arbre, mais sur la Cruz de Ferro, qui porte déjà des rubans, des photos, des fleurs, et plein d’autres objets déposés là par des pèlerins. J’ai choisi la Croix de Fer : pour moi, c’était à cet endroit qu’il devait être. Le reste, tu le connais déjà.

 

Je t’embrasse, et pense bien à toi,

 

Fabienne

 

 

Fait marquant de la journée : aujourd’hui fut une journée ensoleillée, et pourtant sans lumière dans mon ciel. Encore un « au revoir » douloureux ce matin. J’ignore toujours ce qui est le plus douloureux, des ampoules ou des émotions.

 

Deuxième fait marquant de la journée : J-7…. Dans une semaine, j’arriverai à Saint-Jacques de Compostelle.

 

La Cruz de Ferro.

La Cruz de Ferro.

Aujourd’hui, si j’avais été un caillou, j’aurais été un petit caillou. Je n’aurais pas été poli, ni brillant, mais encore brut. Sans angle droit, ni coupant. J’aurais été plutôt arrondi, un peu plus rugueux qu’un galet ramassé sur la plage, et dense, assez lourd, plein. Je n’aurais pas été colorée, j’aurais été chagrin. Pas du verbe chagriner, mais du verbe pleurer.

 

Autre symbole et image très forte du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle : la Croix de Fer, la Cruz de Ferro. Sur le Monte Irago (ça veut dire que ça monte pour y arriver…), en arrivant vers la Sierra Teleno, le Chemin passe par une croix de fer très fine, élevée haut au-dessus du sol, et dont la base est un immense monticule de cailloux, de galets, de pierres. La tradition veut que le pèlerin qui y passe dépose un caillou au pied de la croix, un caillou qui vient de chez lui et qu’il a porté tout le long de son Chemin, qui symbolise les poids de l’âme qu’on laisse au pied de la croix.

 

J’avais glissé dans mon sac, en partant de chez moi, un caillou. Un galet, ramassé en Bretagne pendant des vacances, il y a bien longtemps, et que j’ai posé dans une bibliothèque ou sur une table de chevet dans tous les endroits où j’ai habité : Houdain-lez-Bavay, Lille, Rennes, et ailleurs en Bretagne, Cholet, Paris et la banlieue. Il n’y a guère que les planches de contre-plaqué de l’étagère de ma chambre d’étudiante à Québec et peut-être un appartement moderne au 12ème étage d’une tour de Canary Wharf qui ne l’ont pas vu.

Ce matin, j’ai réfléchi toute la matinée, en marchant, au message que j’allais y inscrire. Et à tout ce que je voulais que ce caillou emporte avec lui.

Une fois au pied de la Cruz de Ferro, j’ai inscrit mes initiales, la date, le nombre de kilomètres parcourus arrondi à 1 300 km, et de l’autre côté, j’ai inscrit ce que j’aurais voulu me dire si j’avais été extérieure : « vis et deviens! ». Et j’ai déposé mon caillou, et avec lui, beaucoup de larmes.

 

 

NB : j’ai appris sur place que le caillou doit normalement avoir une taille proportionnelle à ses péchés… Je ne le savais pas avant. Mon caillou était petit… Ouf! ?

Ça revient, l’envie de dessiner! C’est bon signe, c’est que j’ai moins mal aux pieds! Non pas que les pieds handicapent la main droite, mais la douleur handicape l’envie…

Effectivement, mes pieds s’éteignent (j’ai trouvé l’interrupteur…) et je cohabite de mieux en mieux avec mes chaussures bleues poussiéreuses. Ça me libère la tête pour passer du temps assise par terre sur les trottoirs des villes et villages pour reprendre mon carnet!… Le sens de l’humour aussi est lié à la douleur : Villar de Mazarife m’a semblé être un village qui vit à l’heure du chiffre 3 : 3 albergues de pèlerins, 3 commerces fermés le dimanche, 3 pans au clocher de l’église et donc, 3 nids de cigogne sur le clocher… Demain, je ferai mieux…

 

 

Fait marquant de la journée : a priori, j’ai passé aujourd’hui la dernière ligne droite sans horizon, sur une route sans fin (environ 12 km cette fois), pour finir la Meseta en beauté. (Ouf! de soulagement…).

« Variante peu fréquentée et très solitaire qui demeure une expérience très particulière. Paysage au départ semblable à la steppe africaine qui, plus tard, ne révèle plus que confusément au loin, sur le vaste plateau derrière Calzadillas de los Hermanillos, la cordillère cantabrique couverte de neige jusqu’au printemps. Plus aucune trace humaine par endroits. On se sent très seul et à partir d’un certain point, il n’est pas rare qu’on perde tout espoir de jamais rencontrer un village. »

Voilà ce que mon guide disait sur la variante du chemin entre Sahagún et Reliegos. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre d’emprunter ces 31 km sur une ancienne voie romaine, la Via Trajana, qui reliait jadis Astorga à Bordeaux. Sur les 31 km, un seul village. Pourquoi ce choix? Pour aller jusqu’au bout de ce que la Meseta peut m’offrir et pour faire l’expérience de la solitude et du silence dans toutes leurs profondeurs, au milieu de la nature.

 

Hier, beaucoup de pèlerins allaient donc vers la voie du Camino Real. Les risques d’averses ont fini de décourager certains. Juste avant l’entrée de Calzada del Coto, après Sahagún, le Camino Real part à gauche, la Via Trajana à droite. Au moment où je pars vers la droite, je suis presque seule à faire ce choix. Seul Tomas, recroisé il y a deux jours, suit aussi cette voie.

Calzada del Coto fait figure de village mort. Je croise une vieille espagnole, et j’aperçois un couvreur sur un toit. A la sortie du village, plus rien, la route s’arrête, et c’est parti pour les 9 premiers kilomètres de piste.

La Via Trajana à Calzada del Coto

La Via Trajana à Calzada del Coto.

 

Au bout de 9 km, j’arrive sous la pluie dans un petit village qu’on croirait sorti du fin fond de l’Amérique du Sud… En tout cas, c’est ce que j’en imagine. Quelques maisons, certaines dans une sorte de torchis ocre. Deux petites albergues. Des coquilles Saint-Jacques incrustées dans les trottoirs. Une église en briques. Et un magasin qui vend tout tout tout, de l’aluminium aux fruits et conserves, des produits frais aux collants ou au dentifrice. Et son patron, qui pose tout fier derrière son comptoir, au petit soin pour me vendre un paquet de biscuits.

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Contre toute attente, dans ce village d’un autre temps, l’albergue fait figure de halte de grand luxe. C’est quoi, le luxe, pour un pèlerin? C’est dormir dans un lit (et non un lit superposé), dans des vrais draps (et pas dans son « sac à viande » ou de couchage). C’est trouvé une serviette de toilette propre sur son lit. C’est avoir un tapis de douche pour poser ses pieds en sortant de la douche. C’est fou ce que ces petites choses très simples font du bien, quand on est dans un espace presque hostile et reculé, et surtout, quand on n’a pas dormi dans de vrais draps depuis… Le Gers, je crois bien, donc presque un mois. Quant au tapis de bain, je ne me souviens plus de quand date mon dernier tapis de bain… Bref, ces petits riens sont d’une simplicité déconcertante, on n’y prête aucune attention dans la vie habituelle, mais cela fait figure de grand luxe pour le pèlerin.

 

Ce matin, il reste presque 18 km à parcourir avant Reliegos, sans rien, pas un village. Je pars seule, au lever du soleil, et déjà le ciel est surprenant.

À 6h30 sur la Via Trajana.

À 6h30 sur la Via Trajana.

 

Je marche seule, en silence, sans croiser personne pendant 4 heures. Dans ces moments, je regarde le ciel qui change, je sens le vent, j’écoute les chants des oiseaux, toujours plus fournis quand il y a des arbres. Et je pense, à tout ça et à tout le reste.

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Au bout de 4 heures, je finis par rattraper Tomas, parti plus tôt encore.

 

Par la Via Trajana, on rejoint Reliegos, un petit village, par le haut. En quittant le rien, on tombe sur un village qui semble être fait de hangars colorés, sans clocher. En fait, le clocher n’est guère plus haut que les maisons, toutes simples. On arrive sur une place, et on tombe sur un bar qui crache le rock, Elvis Presley et la musique Country à fond.

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Une ambiance décalée, dans le village, et après cet espace temps suspendu dans la nature et le silence. On est aimanté par ce lieu dont la terrasse accueille bientôt les seuls téméraires partis sur la Via Trajana et qui arrivent au compte gouttes. Au total, 8 pèlerins. Quand on pense aux albergues qui devaient être surchargées sur le Camino Real… On se retrouve tous là, bière, café, tortillas, bocadillos… La nature, ça creuse! Moi, j’y suis restée plus d’une heure, à « digérer » les 4 heures précédentes, à discuter en buvant un café, à rêvasser encore, avant de me décider finalement à laisser Elvis à Reliegos.

 

Une dernière impression que me laisse la Meseta : ce plateau m’a semblé éprouvant physiquement.

Étant sensible aux environnements qui m’entourent, je me suis rendue compte, en traversant toutes ces régions depuis 1 mois et demi, que les paysages avaient un certain impact sur moi, sur mon état d’esprit, mon humeur. Le Gers m’a déprimé, je m’y suis ternie et étiolée. Le Béarn et le Pays Basque m’ont réchauffée, réconciliée, redonnée de la vie. L’Aubrac a été parmi les plus puissants, majestueux, froid où seul le jaune des champs de jonquilles apportait une pointe de chaleur.  Dans la Meseta, j’ai eu l’impression de faire une cure detox. J’en sortirai demain, et j’ai comme l’impression d’être nettoyée, vidée, presque purifiée.

 

 

Fait marquant de la journée : c’était hier, un moment déjà hors de la réalité entre Sahagún et Calza del Coto, lorsqu’un berger et ses chiens a fait traverser la N-120 à son troupeau de moutons. Ils ont fait arrêter le troupeau jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de voiture à l’horizon, et hop! Ils ont traversé cette sorte de voie rapide!

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Y’a vraiment rien sur ce plateau!!! Voilà ma seconde impression, avec les bons et les mauvais côté du « rien ».

Les mauvais, c’est que même les connexions wi-fi sont branlantes, ce qui rend difficile de mettre un jour un blog régulièrement. Et qu’il y a peu de villages (je ne parle même pas de ville) donc il faut anticiper les besoins et services nécessaires. Mais ça aussi, ça fait parti du chemin.

 

Les bons côtés du « rien », c’est le rien justement, le « rien dans le paysage ». Mes pieds étant encore en souffrance, j’avoue avoir mis peu d’énergie dans le dessin depuis lundi. Mon état d’esprit, pour l’instant, c’est « fuck les nouvelles godasses »… J’y reviendrai. A défaut de dessin, je prends des photos et je crois que c’est la meilleure façon de faire percevoir l’immensité, le caractère grandiose des paysages désertiques que je traverse cette semaine. J’ai, en 4 jours de Meseta, trouvé de la monotonie dans le paysage une journée seulement (repartie en 2 demie-journées, en plus). Dans la Meseta, c’est comme dans le désert : l’énergie vient du Grand Tout qui nous entoure, des couleurs, de la simplicité qui se dégage du paysage, de la puissance et de la profondeur de l’horizon, et c’est encore meilleur de le déguster seul et en silence.

En images, voilà ce que ça donne :

Impression soleil levant.

Impression soleil levant.

 

Castrojeriz.

Castrojeriz.

 

Vers le col de Mostelares.

Vers le col de Mostelares.

 

Sans titre (c'est trop beau pour réduire ça en quelques mots).

Sans titre (c’est trop beau pour réduire ça à quelques mots).

 

Le canal de Castille.

Le canal de Castille.

 

La Via Aquitana.

La Via Aquitana.

 

Cette dernière photo, la Via Aquitana, c’était ce matin : 17 km tout droit dans les champs, sans aucun village, sans croisement, sans bifurcation. Ça donne le vertige!!! On laisse passer tout le monde qui galope au départ de la ville précédente, et on fait l’expérience d’une presque solitude. Et on ne sait pas toujours expliquer comment, ni pourquoi, mais malgré la fraîcheur ambiante, le vent de face (depuis lundi…), et les averses ce matin, et bien on avance. Et comme tout le monde, j’arrive au bout des 17 km. Ces paysages demandent de revoir son rapport au temps et à la distance parcourue. On oublie, on s’oublie, et pourtant, on avance.

 

Maintenant, une petite mise en perspective des paysages sans horizon et des chemins droits à perte de vue, au regard de l’état de mes pieds… C’est qu’on avance encore plus doucement, et on ne peut rien contre. Ça demande de revoir doublement son rapport au temps et à l’espace.

Après ma blessure, j’ai donc acheté des nouvelles chaussures à Burgos qui sont, en fait, de véritables « usines à ampoules »…. Je dois dire que jamais je n’ai eu cela, jamais, malgré les randonnées dans les Alpes, le Vercors ou le Verdon et les treks dans les déserts, jamais. Je cumule donc depuis dimanche une blessure qui reste présente et des ampoules… Au début, j’étais en colère, et puis à quoi bon… Inutile de perdre son énergie dans quelque chose qui ne guérira pas mes pieds.

Dans le « rien » de la Meseta, il y a aussi l’absence de services dans les villages, et donc peu de soins ou pharmacie. Hier matin, j’ai commencé la journée par 6 km le long du canal de Castille. Tout le monde me dépassait, tant j’allais lentement et c’était déjà énorme pour moi. En arrivant à Fromista, j’ai posé mon sac en décrétant que je n’avancerai pas au-delà tant que je n’aurai pas trouvé une personne en blouse blanche, a minima, un pharmacien qui tienne la route. Oh joie, bonheur! Lorsque j’ai trouvé la pharmacie et son pharmacien qui baragouinait le français et l’anglais.

Après un tête à tête autour de mes pieds pendant une heure (explications, observations, soins, pansements etc.), je suis ressortie avec une paire de semelles pour rééquilibrer ma voute plantaire (pour mon orteil) et de quoi soigner les ampoules (et c’est ultra efficace : ouf! Chouette!). Je suis malgré tout repartie en claudiquant, mais mes bâtons de randonnée me servent un peu moins de béquilles depuis.

Des nouvelles chaussures, des nouvelles semelles dans les chaussures… À chaque fois, on doit réapprendre à marcher. Tous les muscles des jambes et des pieds se remettent à travailler différemment, jusqu’aux fessiers *. Et on en a beaucoup, des muscles, dans une jambe, et deux fois plus dans deux jambes… Réapprendre à marcher 2 fois en 4 jours : ça fait bobo, mais peu à peu, tout rentre dans l’ordre. On met plus de temps à faire les étapes et on arrive 2 heures après tout le monde, on marche seul, et ça fait aussi  2 heures de repos en moins. Mais on y arrive toujours, finalement.

Ces expériences m’ont faite repenser à une citation d’Abraham Lincoln : « je n’avance pas vite, mais je ne recule jamais ». Et dans la Meseta, en avançant doucement, j’ai le temps de méditer là-dessus, entre autre.

 

 

Fait marquant de la journée : ou plutôt l’homme marquant de la journée, celle d’hier surtout, c’est Le pharmacien de Fromista, évidemment!

 

 

*note pour plus tard : cet été, je promènerai dans Paris des jambes en béton armé et un fessier de brésilienne… Je n’aurai pas tout perdu!  ?

La Meseta, j’en entends parler depuis au moins 1 mois. Et j’ai tout entendu dessus : ceux qui adorent, ceux qui s’y sont éclatés à parcourir des distances de dingue sans s’en rendre compte, ceux qui détestent, ceux qui prennent le bus Burgos-León pour l’éviter, ceux qui louent une voiture pour faire la même chose, en plus cher. Et puis ceux qui m’avaient mis en garde.

 

Petit retour en arrière : vendredi 6 mai, à Espalion, à l’heure du petit déjeuner. A ce moment là, je marchais avec Denis et Bernard, et je retrouvais régulièrement Claire à l’étape. A l’heure du petit dej, donc, on tombe sur un groupe de 4 pèlerins « remarquables » : 4 bons copains, 2 au look camionneur peu commun sur le chemin, un 3ème logisticien du groupe, et le 4ème, qui suivait. Ça sentait la bande d’inséparables. Ce matin là, à l’heure où la plupart marchent encore au radar, les 4 gars étaient déjà en mode « 1 blague à la minute ». Eux avaient déjà fait le Chemin sur la partie Lauzerte – Saint-Jacques. Ils nous expliquaient, avec leur « bon sens près de chez vous », qu’ils avaient passé les Pyrénées un 29 mai, « et qu’il y avait encore de la neige en haut. Hein! Tu te souviens Jacky?! » (NDLR : me souviens plus des prénoms, alors je mets à l’inspiration… Jacky, c’était le 2ème au look camionneur). « Ouais, ouais » répondait Jacky en beurrant sa biscotte en essayant de ne pas l’exploser dans son café. « Et puis Burgos! Oh! Burgos : 8 km de bitume à tourner autour de l’aéroport et des zones industrielles. T’as pas fini d’te bouffer du bitume! Faut prendre un bus. Mais si t’es à Burgos, faut visiter la cathédrale. Faut être con pour passer à Burgos sans visiter la cathédrale. Et après Burgos, tu te tapes 200 km de champs de blé en ligne droite dans la Meseta. Dans la Meseta, t’as intérêt à savoir pourquoi tu marches. Sinon, tu prends un bus, et tu rentres chez toi! ». Et Jacky de continuer « et t’as intérêt à faire pipi avant de partir le matin : y’a pas un arbre à l’horizon de toute la journée! ».

Nous trois, on était mort de rire en les entendant. Et moi, j’étais prévenue!!!

 

Donc, hier, à Burgos, je suis arrivée à pieds, en prenant la route de la rivière par le sud, pour éviter le bitume (pas folle, la guêpe!?). Et j’ai visité la cathédrale. Jusque-là, j’ai tout bon.

 

La Meseta maintenant, depuis le milieu de matinée. Première impression sur ce plateau planté de céréales à perte de vue : j’adore! Ça me rappelle le désert, en camaïeu de verts étant donné la saison. Je verrai si j’en dis autant au bout de 200 bornes.

Le Chemin, dans la Meseta.

Le Chemin, dans la Meseta.

 

Par contre, il y a un truc qui me fait mourir de rire depuis ce matin. C’est cette situation :

C'est par où, déjà????

C’est par où, déjà????

 

Il y a un chemin en plein milieu des champs, un virage tous les 10 km, et un croisement tous les 20 km. Et à plusieurs reprises, 3 ou 4 panneaux pour nous indiquer Le Chemin… J’avoue que la première fois que je suis tombée sur un tas de panneaux comme celui-là, j’ai éclaté de rire! ?

A suivre (sans mauvais jeu de mot, évidemment….).

 

A suivre!

A suivre!

Autant le dire tout de suite : je n’avais pas du tout anticipé ce que ça pouvait être de marcher 1 000 km, et les répercussions directes ou non. Un petit passage en revu s’impose.

 

Aujourd’hui, 11 juin 2016, en marchant vers Burgos, j’ai donc passé mon millième kilomètre…. Exactement, à Burgos, ça fait 1 010 km. En l’écrivant, j’ai moi-même du mal à y croire, et à m’en rendre compte. En avançant à coup de 20 à 30 kilomètres par jour, on se voit avancer, certes, mais on ne fait pas l’addition tous les jours, alors on ne se rend pas toujours compte du total.

Il se trouve qu’en passant ces 1 000 km, coïncidence, je termine ma créanciale, la première.

 

J’ouvre ici une parenthèse : qu’est-ce qu’une créanciale?
Il s’agit d’un « certificat » ou un « passeport » du pèlerin. Sur le Chemin, il existe des créanciales et des crédenciales. Une créanciale est un document d’origine religieuse, catholique. Une crédenciale est laïque. Moi, j’ai eu ma créanciale à la Cathédrale Notre-Dame du Puy au Puy-en-Velay. Comme elle est pleine, je me suis procurée un deuxième « certificat » pour les 550 derniers kilomètres. Et là, j’ai eu une crédenciale, auprès de l’association des Amis du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Mais la sémantique n’a aucun intérêt. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il s’agit d’un « morceau de papier » qui reçoit chaque jour la preuve de notre cheminement sur le Chemin vers Saint-Jacques de Compostelle. Chaque gîte d’étape ou auberge a son tampon et chaque jour, on fait tamponner sa créanciale. Parfois, on peut aussi marquer son passage dans une ville en allant à l’office de tourisme, à l’église dans certains cas, et au bar ou magasin d’alimentation en Espagne.
Surtout, la crédenciale revêt un caractère très particulier pour le pèlerin, car c’est finalement un document où il retrouvera son Chemin, c’est l’unique preuve de son passage et de ses étapes.

Et surtout, une fois arrivé à Saint-Jacques, c’est la preuve contre laquelle il recevra la Compostella, une sorte de « diplôme » qui certifie qu’il a accompli le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.
Alors bien sûr, ça peut paraître anecdotique, de « collectionner des tampons sur un bout de papier », mais autant dire que ce que je viens d’écrire entre guillemets est une insulte pour un pèlerin. Sa crédenciale, c’est Son Chemin, la seule chose qui prouve où il est passé, la prunelle de ses yeux, un symbole de son cheminement. Et parfois, un souvenir ou un clin d’œil. Petit exemple : cette semaine, je suis passée à Santo Domingo de la Calzada. Le fait marquant de cette ville est que la cathédrale héberge un couple de gallinacés (un coq et une poule, je vous raconterai l’histoire une autre fois). En plus, la ville est à 550 km de Santiago. En allant à l’office de tourisme, je « me suis donc faite tamponner » (expression très usitée sur le Chemin mais incompréhensible hors cadre…) et j’ai un super tampon avec deux poulets et l’inscription « 550 km ». Et ça, c’est cool! (Sourire, contentement, joie simple).

Fermeture de la parenthèse.

 

Une créanciale pleine, c’est une petite fierté en soi. Ça matérialise le parcours :

Créanciale 1/2

Créanciale 1/2 : côté face

Créanciale 2/2

Créanciale 2/2 : côté pile… Cherchez les poulets!!!

 

Avec les 1 000 km est venue la question de l’usure des chaussures… Jusque-là, je n’y songeais pas, même si j’avais vu Jean-Maurice en changer à Pampelune. 250 km plus loin, il faut me rendre à l’évidence : je n’avais pas pris la garantie « 250 km de plus, pour 1€ de plus », et là, il est grand temps.

La révision des 1000 km...

La révision des 1000 km… Des godasses déglinguées.

 

Je me suis en particulier dit cela il y a 3 jours lorsque je me suis blessée. Les chaussures usées et devenues trop lâches ne tenaient plus suffisamment mon pied, et c’est là que les orteils se baladent dans la chaussure et paf!, un truc qui ressemble à une contracture musculaire « bien comme il faut », avec une douleur qui irradie dans tout le pied jusqu’à la cheville…. Ça m’est arrivé en fin de matinée, un jour où il faisait plus de 30 degrès, sur une portion du chemin dans les champs et sans aucune ombre… Les 10 km qui ont suivi ont été très très très douloureux… J’en pestais!!!

Depuis, je marche à l’anti-inflammatoire, local ou en médicament, massages plantaires qui font un bien fou, remèdes d’huiles essentielles des uns et des autres, consultation et recommandation au Centro de Salud, lorsqu’on en trouve un ouvert. Ça ne m’a pas empêché de marcher. Voire, hier, le Chemin était avec moi : la pluie de la nuit avait rafraîchit les températures, et les 12 premiers kilomètres de la journée étaient sur un chemin caillouteux, aux reliefs doux, qui m’ont fait l’effet d’un massage de réflexologie plantaire. Non, je ne suis pas maso, je vois juste la chose positive qui a réduit la douleur. C’est le principal!

 

Aujourd’hui, ma première mission en arrivant à Burgos, c’était de trouver une nouvelle paire de chaussures pour accompagner les kilomètres restants.

Mes nouvelles pompes!

Arrêt au stand : changement de pompes!

Et en plus, elles sont bleues! Pas fait exprès , mais assorties au reste de mon camaïeu bleu/indigo/violet…

 

Cet après-midi, c’est donc un repos forcé à Burgos. Forcé, parce que la sagesse veut qu’un peu de repos ne soit pas de trop pour mon pied gauche, mais je n’avais aucune envie de rester là… Du coup, j’essaie les nouvelles chaussures au Centro de Arte à Burgos (au Musée d’art moderne… rien perdu de mes réflexes de citadine…) et j’attends demain, l’heure de reprendre mon sac pour repartir. Vivement!

 

Fait marquant de la journée : aujourd’hui, Tomas est parti. Depuis Ronceveaux, je marchais avec Jean-Maurice et Tomas, une fine équipe. Tomas est parti de Saint-Jean-Pied-de-Port et voulait (et c’est bien normal) marcher seul. Il n’est pas le seul que j’ai vu quitter Burgos après la visite de la cathédrale. D’autres « amis de cheminement » ont repris le chemin directement. On s’est tous donnés rendez-vous à Leòn, de l’autre côté de la Meseta, dans 200 km. Pour moi qui devais rester là en me disant « c’est mieux pour ton pied », ça m’a fichu un sacré coup de bambou. Cafard. Gros coup de blues en errance dans Burgos… Ça aussi, ça fait parti du Chemin. Un mélange entre l’appel des flèches jaunes, la liberté que ça procure, le lien aux autres, l’écoute de soi, le respect de son corps.

Là, tout de suite, c’est dur, et j’en ai gros sur la patate.

Cette nuit, je me suis réveillée vers 2h30, et me suis mise à penser à ça : avoir conscience que ce que j’ai déjà parcouru, ne sera plus. Je pourrai toujours le refaire, mais ce sera forcément différent, forcément vécu différemment, forcément ressenti différemment. Penser à cela ne facilite pas l’endormissement (…). Il y a une sorte d’urgence qui se crée : l’urgence de vivre se fait encore plus pressente.

 

Ce matin, en partant, j’ai repensé et poursuivi cette reflexion nocturne et j’ai marché en ayant la pleine conscience de l’excusivité du moment. En profitant de ce dernier lever de soleil magnifique sur la Rioja. En écoutant les oiseaux se réveiller et les bas côtés vrombir au rythme des insectes. En sentant l’air du petit matin souffler sur mon chèche posé sur mes bras,  parce qu’il faisait un peu frais. La conscience du moment présent, cet instant où on a fait la paix avec le passé (rien ne sert de résister, on ne changera rien) et où on ne court pas après le futur (adviendra que pourra).

En marchant, j’avais la mélodie d’une chanson de Vincent Delerm dans la tête (pour ceux qui l’ignoreraient, je suis une fan inconditionnelle de Vincent Delerm… J’ai pris l’habitude de dire cela de façon très convaincue pour être convaincante, car en général, c’est à ce moment là que je me heurte à des sourires en coin, voire des rires moqueurs… Oui, on peut être fan de Vincent Delerm, je vous expliquerai : c’est une question d’angle de vue…), une chanson de Vincent Delerm disais-je, Ces deux-là, dans laquelle on entend « à cet instant il pensa voilà c’est la fin de cette partie-là de l’histoire. La fin de cette vie-là' ». C’était tout à fait ça. Vivre en pleine conscience du moment présent. Pourquoi est-ce si difficile, dans d’autres conditions?

Le ruban entre la Rioja et Castille et Léon.

Le ruban entre la Rioja et Castille et Léon.

 

Peut-être que, comme le disait Roland, un hongrois que je croise et recroise depuis une semaine, c’est un peu comme si nous vivions une expérience dans un monde parallèle. Lui expliquait il y a 2 jours qu’il a laissé femme et enfants en Hongrie pendant un mois, pour vivre ça. Et que, contre toute attente, certaines de ses rencontres récentes sur le Chemin lui manquaient plus que sa famille, à qui il a tant de mal à exprimer ce qu’il vit (comme nous tous ici, d’ailleurs). C’est cette impression qui donne la sensation du monde parallèle. On suit les flèches jaunes sur le Chemin, on ne pense pas avant d’y être où l’on sera dans quelques heures, tous les contacts sont faciles, avec les autres pèlerins, ou dans les villages, avec les habitants qu’on croise. Tout est finalement réuni pour être présent, et c’est tout.

 

En me disant cela ce matin, je pensais aussi à tous ceux qui m’ont déjà dit que pour partir marcher dans le désert comme je l’ai fait, ou sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, je devais avoir une faute à expier (?!) ou je voulais vraiment fuir mes problèmes. A ces gens là, je n’ai jamais répondu : j’aurais passé trop de temps à expliquer quelque chose qu’ils ne sont sans doute pas disposés à comprendre, ni même à toucher du doigt. La bonne réponse, c’est sans doute celle de Sylvain Tesson qui dit, toujours dans sa cabane sur les bords du lac Baïkal : « la fuite, c’est le nom que donne les gens ensablés dans les fondrières de l’habitude à l’élan vital ». Merci! Je crois que c’est un peu cela que l’on vit au présent sur le Chemin vers Saint-Jacques de Compostelle : l’élan vital, au présent et au quotidien.

L'élan, à Santo Domingo de la Calzada.

L’élan, aujourd’hui, à Santo Domingo de la Calzada.

 

 

PS @ Valérie : j’ai bien pensé à toi, en prenant conscience de mon moment présent et de toutes les sensations et bienfaits associés. 😉

 

Lorsque j’avais vu le film Compostelle, le chemin de la vie, j’avais été frappée par la métaphore faite dans le film, entre le Chemin et le jeu de l’oie. J’ai retrouvé aujourd’hui, à Logroño, cette même métaphore.

Sur le Chemin, lorsqu’on traverse Logroño, on passe devant l’Iglesia Santiago el Real. Sur le parvis, un immense jeu de l’oie, jeu très populaire en Espagne, est dessiné avec les pavés sur le sol. J’apprends ainsi que l’origine de ce jeu est lié au Chemin de Saint-Jacques : « il est tout aussi difficile d’arriver à la fin du jeu que de faire le pèlerinage de Saint-Jacques ».

Juego de la Oca.

Juego de la Oca.

Le jeu de Logroño est adapté et représente un parcours allant d’une ville du Camino Francès à l’autre, jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. Seule case du jeu conservée sur le pavé : la case de la mort. Je m’étais déjà renseignée sur la symbolique du jeu. Certaines cases représentent des moments d’attente, de réflexion, de pause dans la vie, voire des accidents de la vie : la case du puit où l’on tombe et où l’on doit attendre que quelqu’un vienne nous en sortir, la case de l’auberge où l’on reste dormir et où on passe son tour. La case de la mort, c’est un retour direct à la case départ du jeu : il faut recommencer tout le parcours. Quand on joue, et qui plus est, quand on est enfant, on déteste cette case qui peut largement compromettre les chances de gagner. Alors qu’en creusant un peu, on apprend que la case de la mort, qui renvoie au début, matérialise la fin d’un cycle pour en débuter un nouveau.

La faucheuse de Logroño.

La faucheuse de Logroño.

 

Le fait de retrouver cette seule case du jeu sur le pavé de Logroño n’est pour moi pas anodin. Le Chemin de Saint-Jacques, c’est effectivement un passage, une pause dans la vie avec « un avant » et « un après ». La fin d’un cycle et le début d’un nouveau. En tout cas, c’est tout à fait dans cet esprit que je l’ai entrepris. Et c’est aussi pour cette symbolique forte du renouveau que je tiens tant à aller à Fisterra.

 

Ma réflexion sur le renouveau et le commencement d’un nouveau cycle sur mon chemin d’aujourd’hui m’a fait repenser à une autre anecdote qui m’est arrivée il y a une semaine, lors de l’étape entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Ronceveaux.
Sur le temps de cette montée, j’ai parlé à une ou deux personnes seulement, dont un portugais qui commençait son Chemin. Il m’a expliqué qu’il pensait partir sur le Camino depuis longtemps et qu’il s’était enfin décidé. Dans l’échange, il m’a aussi dit qu’il était sûr que l’année était bien choisie. Ah bon?! Il était en effet adepte de la numérologie et le voilà parti dans une séance de numérologie en plein brouillard… Il m’explique que le chiffre 9 est le chiffre symbole du renouveau, et matérialise la fin d’un cycle, et le début d’un autre, (tiens, tiens…) et que nous sommes en 2016 : 2+0+1+6=9… (…?!?!). Et de continuer son explication : ce jour là, le jour où nous passions les Pyrénées, nous étions le 31 mai, le 31/05 : 3+1+0+5=9… (…?!?!).
Je ne sais pas si lui l’avait fait exprès, mais moi, c’est sûr, je n’en savais rien, c’est un pur hasard, et je veux croire en un heureux hasard. Il ne m’en fallait pas davantage pour que j’y vois là un signe que tout, sur mon Chemin, est désormais aligné.

 

 

Fait marquant de la journée : la sortie de Logroño en fin de matinée.

La sortie de la ville se fait par un parc que l’on traverse d’un bout à l’autre. À pieds, il m’a bien fallu 1h30 de marche pour en arriver au bout. Le long de ce parcours dans le parc, on croise une foule de joggers et promeneurs, de tous les âges et tous les genres. Je crois bien qu’au moins 1 personne sur 3 lançait un « Buen Camino » aux pèlerins qu’elle croisait (ça fait beaucoup de « Buen Camino » à dire le long de la promenade…). C’est un petit signe très agréable qu’on remercie à chaque fois (ça fait aussi beaucoup de « gracias », jusqu’au bout du parc…). Le « Buen Camino » que je retiens, est celui d’un jeune jogger que je voyais arriver essoufflé, tout rouge et tout suant, et qui a prononcé un « Buen Camino » chuchoté dans un soupir à bout de souffle. J’ai bien pris soin de remercier le garçon pour cet effort qui semblait être un dernier effort mais qu’il a tenu à faire.

Ces petites attentions sont autant de petits cailloux blancs de gentillesse laissés sur notre Chemin.

Quelques jours vécus en Espagne, sur le Chemin, et ce qui me frappe pour le moment, c’est le mode « auberge espagnole » des auberges de pèlerins sur le Chemin. J’ignore si l’expression vient de là ou non, mais ça serait bien possible.

 

Au bout de quelques jours, donc, on revoit les mêmes têtes, beaucoup de pèlerins de toutes les nationalités venant pour faire le Camino Francès, des Pyrénées à Saint-Jacques. Comme en France, on traverse des petits villages qui semblent parfois ne vivre qu’à l’heure du Camino, avec les pèlerins, leur « mode de vie » et leurs horaires.

 

Exemples en images :

Hier, à Villamayor de Monjardin, petit village d’une centaine d’habitants, et 2 « albergues » (équivalent du gîte d’étapes) et 1 « casa rural » (d’après ce que j’en comprends, c’est plutôt la version chambre d’hôtes). Au total, la capacité d’accueil des pèlerins est de 50. Hier, c’était complet et ça débordait.

Un village pris d'assaut par les pèlerins...

Un village pris d’assaut par les pèlerins…

Ça, c’est une albergue « completo », après la douche et la lessive de tout le monde : nonchalance en tongs bienvenue, les petites culottes et les chaussettes en arrière plan. Au bar du village (un seul bar, qui fait restaurant avec son « menu pèlerin »), le reste des habitants d’un soir attaque l’apéro, ou le second apéro, ou le troisième… Certains préfèrent trinquer sur la place du village, avec le vin tiré de la fontaine de vin croisée dans la journée.

A la fontaine de vin.

A la fontaine de vin : je fais le plein…

Bref, il y en a partout et on a l’impression de connaître tout le village.

Certains arrivent encore, à pieds et à vélo… On les met où? Ils choisissent entre dormir dehors, sur un terrain de « pelota » , ou prendre un taxi pour le prochain village à 12 km… 5 ou 6 pèlerins dormiront donc à la belle étoile, dans la bonne humeur parce que « ça fait parti du Chemin! ».

Sur la terrasse et au dîner, ambiance cosmopolite et bon enfant. Ça parle anglais, surtout, français, espagnol, allemand ou hollandais, avec enchaînement de minestra de Navarre et de natillas en dessert.  Tout le monde n’a pas tout compris à ce que son voisin lui racontait, mais tout le monde avait un sourire jusqu’aux oreilles. C’est le principal, et c’est ce qu’on retient tous de ces moments, le soir à l’étape.

 

Cet après-midi, dans le parc de l’église de Viana, c’était du même genre, en mode sieste et papotage sous un arbre. Et nous avions investi le parc public avec les tancarvilles, histoire que le linge soit sec avant le couvre-feu de l’auberge.

L'heure de la sieste à Viana.

L’heure de la sieste à Viana.

 

Ça me donne l’impression de vivre dans une grande colocation avec plusieurs dizaines de colocataires, jamais tout à fait les mêmes, mais on retrouve toujours des gens connus. Ça rentre, ça sort, ça se salue ou ça se sourit, ça fait la queue pour prendre la douche, pour aller aux toilettes et même pour faire la lessive. Ça mange à n’importe quelle heure, à l’envie et selon l’habitude ou la culture. On dort tous dans des dortoirs, logés à la même enseigne d’où qu’on vienne, avec des boule quies. De toute façon, on a quelques kilomètres sous les pieds, donc on dort, même dans un dortoir de ronfleurs… Et si les boule quies ne suffisent pas, le vin rouge peut toujours aider… À dormir et/ou à ronfler…

Une des images mythiques du Camino Francès, le Col du Pardon ce matin, après 2 bonnes heures de marche. Un régal, un beau moment d’émotions pour moi lorsque je suis arrivée auprès de ces sculptures qui représentent des pèlerins, et que j’ai vu partout : les livres, les guides, les films, partout. Et ce matin, c’était mon tour!

Les sculptures du Col du Pardon.

Les sculptures du Col du Pardon.

 

 

Et puis cette petite anecdote du jour, avec cette photo dont je suis absolument fan! C’était ce matin, 6h30 en quittant Cizur Menor (où j’ai passé la nuit d’hier) à 3 ou 4 km après Pampelune. Je voulais prendre les silhouettes de deux pèlerins que l’on voit ici en ombres chinoises : l’un à pieds, l’autre en vélo. Et quand le cycliste a vu que je prenais cette photo, il a levé les bras au ciel. EXTRA!!! Merci y Buen Camino!!!

En quittant Cizur Menor, à 6h30 ce matin (3/06/2016).

En quittant Cizur Menor, à 6h30 ce matin (3/06/2016).

Le passage à l’heure espagnole, pour moi, pour le moment, c’est surtout les petits dej version espagnole, un régal!

En Espagne, le réveil dans les dortoirs sonne plus tôt (ce matin, 4h15… Mais je me suis rendormie jusque 6h00… Je sais, bientôt, je ne pourrai plus, il fera trop chaud…). Le plaisir, c’est de partir le ventre presque vide à 6h30, de marcher à la fraîche 1 ou 2 heures, et de s’arrêter au premier village, dans un bar un peu typique (et pas l’attrape pèlerins, à l’entrée du bled) et de commander « un trozo de tortilla y un cafe americano, por favor ». Une journée de marche qui commence avec une omelette épaisse et encore tiède et un grand café, sur une terrasse, qui se remplit de pèlerins de toutes les nationalités et avec eux, de visages qu’on croise et recroise dans la journée : quel plaisir!!! Ce matin, en se rapprochant du village, on sentait l’odeur de la tortilla en train de cuire… Un délice!

 

Et puis il faut absolument que je vous raconte l’anecdote du jour. C’est bien plus qu’un « fait marquant de la journée », c’est une histoire de « vie du Chemin », avec un grand C!

Dans la matinée, j’arrive à Pamplona avec mes deux acolytes de marche depuis 2 jours : Jean-Maurice, parti du Mont Saint-Michel, et Tomas, un franco-espagnol qui commence son camino. Devant le panneau d’entrée dans la ville, on retrouve Sylvie, partie de Bourg-en-Bresse, et Jean-Marie parti de Chartres avec sa carriole. On est tous des « habitués » du Chemin, sauf Tomas, qui découvre un peu, ne porte pas de coquille sur son sac (« les trucs de pèlerins, c’est pas pour moi… ») et marche depuis 4 jours avec un bâton ramassé dans la montée vers Ronceveaux. On avance, à 5, contents de se retrouver. Tomas et Jean-Maurice devant, Sylvie, Jean-Marie et moi à leur suite. A un moment, une voiture nous klaxonne, s’arrête à la hauteur de Tomas. Un homme aux cheveux blancs sort, sans couper le contact de son véhicule. Il ouvre son coffre, pendant qu’on le regarde en se demandant ce qu’il va en sortir. Il ressort la tête du coffre avec un bâton de marche bien droit, ciselé au bout, et le met dans les mains de Tomas. Il ferme le coffre, nous salue tous les 5 d’un grand « Buen Camino », entre dans sa voiture et repart. On a juste le temps de se rendre compte de ce qui vient de se passer, et de lever les bras pour saluer le vieil homme, déjà parti. Tomas n’en revient pas. Il entre dans Pampelune avec ses deux bâtons.

1 heure plus tard, Tomas achète sa coquille stylisée de Saint-Jacques et l’accroche fièrement à son sac à dos. On le taquine, en lui disant « Tu vois?! Toi aussi, tu deviens pèlerin, finalement!!! » ?

En sortant de la ville, il dépose son ancien bâton dans le Parc de la Citadelle, sur le Chemin, avec l’espoir qu’il dépanne un prochain pèlerin.

C’est ça, l’Esprit du Chemin. Quel bonheur!!!

Une journée de changements.

Une journée de changements.

Passer les Pyrénées. L’étape dont j’avais lu qu’elle était la plus difficile mais aussi la plus belle. C’était aujourd’hui, et je suis épuisée, et en même temps un peu émerveillée, je crois, par cette journée.

Je suis partie avec le sentiment qu’il s’agissait presque d’un nouveau départ. Comme le début d’un deuxième chemin. Ce matin, il y avait chez moi un mélange d’anxiété et d’excitation, de joie et de peur : on a envie d’y aller, de partir, de réussir, mais on se demande quand même « vais-je y arriver? ».

Au départ de Saint-Jean-Pied-de-Port, on est porté par le flot des pèlerins qui prennent la route. A Saint-Jean-Pied-de-Port, l’ambiance a déjà largement évolué par rapport aux étapes précédentes. On a un peu l’impression que le village est totalement dédié aux pèlerins, et surtout, les pèlerins viennent de partout dans le monde. Hier soir, autour de la table, 14 pèlerins, 4 français, et les autres venaient d’Italie, du Brésil, de Corée, de Norvège ou d’Allemagne. Dans la montée, c’est pareil, toutes les nationalités se côtoient.

 

Dans la montée, justement, passé Orisson et les 8 premiers kilomètres (très raides), je suis passée dans le brouillard et ne l’ai plus quitté jusque Ronceveaux. C’est une drôle de sensation : on ne voit ni le ciel, ni l’horizon de toute la journée.

En dessous du brouillard...

En dessous du brouillard…

 

Les pèlerins se mettent en file indienne le long de la route ou du chemin. Chacun à son rythme et au rythme des averses (une averse par heure environ aujourd’hui). Une fois recouvert des ponchos, on a l’air de petits fantômes. J’avais l’impression de faire partie d’une procession de fantômes, le long d’un ruban de bitume qui se perd rapidement dans le brouillard. Au bout d’un moment, en montant, le brouillard s’épaissit. On voit à peine le fantôme devant soi. Et personne ne parle. Ça me donnait l’impression d’avancer dans un univers rempli de blanc, et silencieux, comme dans du coton.

Les fantômes dans le brouillard.

Les fantômes dans le brouillard.

 

On avance en suivant juste les marques rouges et blanches. On perd tous les autres repères. Je ne savais plus quelle heure il était. Rien pour s’arrêter, rien pour s’asseoir ou faire une pause. Je fais un ou deux arrêts, rapides. Je grignote quand j’ai faim sans savoir s’il est 10 h ou déjà midi. Et ça monte toujours.

Pendant ces moments, on ne réfléchit pas vraiment. En tout cas, ce n’est pas le moment de se demander ce qu’on fait là, et pourquoi on marche : ce n’est pas le moment de douter! Par contre, j’ai eu le temps de repenser aux 750 kilomètres déjà parcourus, les étapes et villages qui m’ont marquée, les rencontres aussi. J’ai pensé à tous ceux à qui j’ai déjà dit au revoir, ceux que j’ai perdu de vue il y a quelques jours et que je ne reverrai pas, puisqu’ils s’arrêtaient avant les Pyrénées. Et ceux que j’ai croisé hier en lançant « à demain, à Ronceveaux! ».

 

Le vent était froid. Et de temps en temps, il arrivait à pousser un nuage et je découvrais un morceau de montagne ou de vallée.

Une trouée...

Une trouée…

 

Jusqu’au col de Bentarte et la Fontaine de Roland, je vais bien. Les derniers kilomètres de montée, alors que j’ai fait le principal, sont par contre interminables. La fatigue s’accumule, et maintenant, j’ai vraiment froid. À partir de là, plus rien ne compte. Je monte, j’essaie de ne pas me faire mal, de boire régulièrement. Passage du col de Lepoelder. Photo, sourire de circonstance. Début de la descente. 4 km de descente, très raide, dans les bois, la boue et toujours le brouillard. Je ne sais toujours pas l’heure, mais ces 4 km dans la boue semblaient ne jamais vouloir se terminer, je n’en voyais pas le bout. Et j’étais épuisée, à rêver d’une douche chaude, d’un thé brûlant, avec un (ou deux ou trois…) carré de chocolat, du réconfort. Interminables.

La descente dans la forêt.

La descente dans la forêt.

 

En arrivant, on est soulagé : enfin! Je crois que je n’ai jamais fait quelque chose qui m’a autant crevé, entre la montée, certes, mais aussi la pluie, le vent et le froid humide.

 

Et on arrive dans une mécanique bien huilée, celle de l’abbaye de Ronceveaux : plus de 180 lits et jusqu’à 300 au moment de grandes affluences. Rien que le placard des chaussures m’a donné le vertige!

Le placard des chaussures à Ronceveaux.

Le placard des chaussures à Ronceveaux.

On m’a attribué le lit 254 à l’accueil. En arrivant dans le bâtiment, j’avais l’impression d’être dans un sous-marin! Mais à dire vrai, vu mon état de fatigue, le côté cadré « là, le lit ; là, les douches ; pour la lessive, tu suis les flèches jaunes ; repas à 19h » m’allait très bien un jour comme aujourd’hui, où j’avais déjà grillé tous mes neurones…

Je suis à J-2 du passage des Pyrénées, 30 jours pile après mon départ du Puy-En-Velay. Et avant les Pyrénées et la grimpette qui fait frémir tout le monde, cette semaine aura été une semaine de gros creux.

 

J’avais parlé des deux jours de pluie dans le Gers. Et puis a suivi une journée dans les champs de maïs, qui s’est achevée par 2 km le long d’une ancienne voie ferrée, puis 5 km le long d’une nationale en arrivant à Aire sur L’Adour. Là dessus, une soirée dans un gîte avec un petit groupe dont un dépressif du Chemin qui fait ce « Camino de merde à l’envers, pour être sûr de ne pas croiser le lendemain les gens qu’il a rencontré la veille » ont eu raison de moi et surtout de mon moral. Quelle ambiance?!

Alors bien-sûr, sur le Chemin, c’est comme sur le chemin de la vie : on rencontre de tout, des personnages de tous les ordres. Ces rencontres font parti du Chemin comme elles font parti de la vie. Ce que j’en retiens, c’est que j’ai toujours du mal à m’en prémunir, d’abord. Mais la bonne nouvelle, c’est que j’ai réussi à « passer au-dessus » après avoir appelé « à l’aide » autour de moi. Des deux gars croisés au Café des Sports de Arzacq-Arraziguet, aux autres pèlerins rencontrés dans les gîtes qui ont suivi, des amis via Facebook ou le téléphone, tout y est passé! Merci à tous pour vos contributions!!!

 

Ce qui a aussi participé à me faire retrouver de l’énergie, c’est le paysage qui a changé depuis que je suis arrivée dans le Béarn il y a deux jours, et au Pays Basque surtout, hier. Enfin, le Chemin renoue avec des paysages fabuleux. En contre partie, il pleut, tous les jours, et plusieurs fois par jour. Mais ça ne dure pas, et ça ne suffit pas à tremper les pieds! Et même les pluies et orages que l’on voit arriver de loin sur les Pyrénées ne nous découragent pas. Au contraire : les nuages arrivent comme une couverture qui recouvre les sommets, sur le bleu du ciel. C’est très impressionnant, et les contrastes sont saisissants.

 

Avant l'orage.

Avant l’orage… Faut qu’j’me dépêche…

 

Après la pluie... Et avant la prochaine averse...

Après la pluie… Et avant la prochaine averse…

 

Ostabat, dernière étape avant Saint-Jean-Pied-de-Port.

Ostabat, dernière étape avant Saint-Jean-Pied-de-Port.

 

Ce soir, 20h30 (29/05/2016).

Ce soir, 20h30 (29/05/2016).

 

 

Dernière chose qui fait un bien fou au pèlerin (et m’a réchauffé le cœur), c’est l’esprit et le regard qu’on lui porte. Depuis deux jours, les gens que je croise en voiture saluent de la tête. Avant hier, alors que je traversais les champs de maïs en plein soleil, toute seule, à 15h (ça chauffait sévère!), certains m’ont encouragée. Le moindre robinet ou tuyau d’arrosage est fléché « eau potable » dans les jardins. Les habitants improvisent des accueils de pèlerins dans leurs garages ou leurs jardins. A la boulangerie, les clients nous interrogent : d’où on vient, depuis quand nous sommes partis, jusqu’où nous allons. Cette considération et cette place que les habitants nous font, fait un bien fou. Ça semble anodin, mais depuis 30 jours que je suis partie, c’est la première fois que je ressentais cette gentillesse et cette attention vis-à-vis du pèlerin. Et je ne suis pas la seule à les avoir remarquées.

Dans d’autres régions, il m’est arrivé qu’on me dise, dans un « accueil de pèlerins » (donc un lieu où on devrait être accueilli…), qu’il faut « consommer pour espérer avoir accès aux toilettes » (ce à quoi j’avais envie de répondre « désolée, je n’avais pas vu le panneau Paris à l’entrée »… No comment…). C’était après Cahors. Du côté de Moissac, c’est un énorme soupir d’agacement qui était « l’accueil ». Ce genre de petites choses contribuent aussi au sentiment d’être vagabond, étranger, presque marginal. Et depuis deux jours, on a l’impression qu’une petite place nous a été faite, qu’on nous reconnaît. Ça n’a l’air de rien, dit comme cela, mais c’est vraiment touchant et important pour les pèlerins, et sans doute pour moi en particulier. Nous sommes de passage, ici, mais il y a une forme de respect et de place pour ce que nous avons entrepris et ce que nous sommes, un peu vagabond, et surtout pèlerin.

J’arrive bientôt à la frontière espagnole, vient donc l’heure du bilan côté chemin français. Et ça faisait un bout de temps que je voulais illustrer la « journée type » du pèlerin sur cette partie… En tout cas, ma « journée type » à moi… Ça donne ça :

Le matin, 6h : réveil. Tu es d’accord ou pas, tant pis : il y en a toujours un dans le dortoir ou la chambre qui a mis son réveil avant le tien!

6h

6h

Certains jours, je n’ai pas encore posé un pied à terre qu’il y a un « warrior » déjà parti, sans être passé par la case petit-dej, et un athlète déjà prêt qui fait des pompes dans le couloir ou devant l’entrée des toilettes… Moi, j’ai la tête encore toute ensommeillée et je reprends mes esprits, doucement…

7h45 : je suis toute prête, c’est le départ. En général, plusieurs sont partis avant moi… Comme m’a dit un certain Philippe ce matin : « il faut partir plus tôt : une heure de marche le matin, c’est deux heures l’après-midi »… Je n’ai pas répondu, mais j’ai pensé qu’il ne savait pas compter… 1h, ça reste 1h…

Dans la journée.

Dans la journée.

En général, je fais entre 20 et 30 km dans la journée. Ça me fait arriver entre 15h et 17h à l’étape, et quel que soit la longueur de l’étape, j’ai toujours cette tronche là en arrivant… Les derniers kilomètres sont invariablement très très (trop) longs…

Les 4 derniers kilomètres...

Les 4 derniers kilomètres…

 

Et après? Ben c’est pas fini! La vie de pèlerin ne s’arrête pas sur un transat à 16h chaque jour, non, non, non! Après, c’est l’heure des ateliers.

Les ateliers du pèlerin.

Les ateliers du pèlerin.

 

Selon la « disponibilité » des ateliers et équipements nécessaires, c’est atelier douche (mon préféré! C’est fou ce qu’une douche peut requinquer!!!), lessive des vêtements du jour puant et plein de sueur (obligatoire, pour son bien et celui des autres…), préparation de l’étape du lendemain (en Espagne, ça ira plus vite) et atelier « bibine et miam miam » pour le dîner!

Et après le dîner? Au lit, presque directement après. Avec la digestion, c’est coup de barre assuré. En général, à 21h30 ou 22h tout le monde est au lit.

 

Fait marquant de la journée : ce matin, 6 km après être partie, je rencontre un autre pèlerin sur le bord du chemin qui fume une cigarette. Je m’arrête et discute. Dans l’échange, il me demande mon étape du jour :

-« Sauvelade, et je suis partie d’Uzan ce matin.

-ah oui!?!? (L’air horrifié…) dis donc, c’est long. Faut avoir d’la cuisse! »

Je me suis mise à rire et j’ai pris cela pour un compliment (j’ai bon???) et j’ai dit merci, poliment… Celle-là, on ne me l’avait encore jamais faite!

NB : Uzan – Sauvelade, c’était 32 km, avec des montées et des descentes. Donc, oui, « faut avoir d’la cuisse!!! ». ?

 

 

Je crois qu’hier, j’ai quitté le Gers et je n’en ai pas parlé, sauf de la pluie. Qu’ai-je retenu d’autre que la pluie???

Ma première impression n’a pas été terrible : des grandes parcelles de céréales et maïs. Le paysage sentait l’agriculture intensive (et la prime PAC)… Bof. Et puis, à partir de vendredi dernier (NDLR : à l’heure où j’écris, nous sommes mercredi), je suis arrivée dans les vergers de pruniers, puis dans les vignes progressivement. Bref, en résumé : dans les chemins du Gers, j’ai écouté pousser l’Armagnac.

J’ai aussi retenu quelques superbes lieux découverts à pieds. Le village de La Romieu restera dans mes coups de cœur. Et Celui de Larressingle, surnommé « la Carcassonne du Gers », ressemble à un décor du Puy du Fou.
A part ça, niveau paysage, c’est assez moche…

Ce que je retiens surtout, c’est la recette des pruneaux à l’Armagnac!!!
Pour faire les pruneaux à l’Armagnac, il faut des pruneaux secs (pas demi-secs) qu’on laisse se réhydrater dans du thé noir froid (surtout pas chaud) pendant 3 à 4 heures. Ensuite, on laisse égoutter les pruneaux pendant 24 à 48 heures, recouverts d’un torchon (propre…).
2 jours plus tard, on verse les pruneaux dans un bocal et on les recouvre aux 2/3 d’Armagnac et on ajoute du sirop de sucre pour le tiers restant (soit on fait son sirop, soit on utilise du sirop de sucre de canne liquide par exemple). On ferme le bocal, qu’on stérilise (pour éviter de perdre « la part des Anges », tant pis pour les anges) et puis on attend…. Longtemps (quelques mois). On attend et on déguste. J’ai goûté, c’est délicieux!

 

 

Je crois que les pruneaux à l’Armagnac, c’est ce que j’ai retenu de mieux du Gers, en fait…
A part ça, aujourd’hui, l’étape était dans les Landes… 18 km à marcher dans les champs de maïs ce matin, ça ne fait rêver personne… Heureusement, je suis passée depuis dans le Béarn. Il y a quand même un « fait marquant de la journée« , en plus du maïs, c’est d’avoir marché avec à l’horizon, la chaîne des Pyrénées et ses sommets enneigés qui se découpent. Vous ne voyez rien sur le photo, ou presque rien, mais ils sont là, à 150 km à pieds. J’ai pris rendez-vous avec les Pyrénées la semaine prochaine! Si tout va bien, Roncesvalles (et le dortoir de 130 lits à l’Abbaye…), c’est pour mardi!!!

Le maïs des Landes et les Pyrénées.

Le maïs des Landes et les Pyrénées.

 

Un passage dans les Landes et puis s'en vont.

Un passage dans les Landes et puis s’en vont.

I’m walking in the rain… Tanana nana na na naaaaaa na na…. Bref : 2 jours que je marche sous la pluie… Et que je n’ai pas du tout envie de chanter…

 

J’avais déjà eu une journée de pluie non-stop, du côté de Decazeville. Là, c’est la version orage. Hier, départ à 8h15 sous l’orage…27 km sous la pluie, presque ininterrompue. Aujourd’hui, 20 km sous les averses orageuses, les pieds dans la boue… Dur dur.

 

A quoi pense-t-on quand on marche sous la pluie???

Les autres, je ne sais pas. Moi, je pense d’abord à l’inventeur du poncho modèle « pélerine » de Quechua, et me demande pourquoi il n’a pas pensé à faire descendre le poncho jusqu’aux chevilles, plutôt que de l’arrêter aux genoux…. En moins d’1 km, on sent déjà le pantalon trempé qui colle aux mollets, puis l’eau qui remonte le long du pantalon par capilarité, à en avoir presque la petite culotte mouillée sous le poncho après 1 heure de marche!!! C’est quand même pas malin!!!

 

Le look "dromadaire" de l'été, dans le Gers.

Le look « dromadaire » de l’été, dans le Gers pluvieux… Les tongs python, c’est pour plus tard!

 

Au bout de quelques kilomètres de plus, je pense à l’inventeur des chaussures waterproof-pas-waterproof sous une pluie verticale continue (mais comment ont-ils testé leurs godasses???). Et je finis par repenser à ce que j’avais lu dans le « Miam miam dodo – Mode d’emploi de Compostelle » : la bonne nouvelle, c’est que l’eau se réchauffe au contact du pied. Je confirme… ?

Au bout de plusieurs heures sous la pluie, la première fois, j’ai même vu mes chaussures mousser?!?! La mousse sortait des trous d’aération. Mais qu’est-ce qu’ils-y-mettent, dans les chaussures?!?!

 

Ce que je préfère, les jours de pluie, c’est d’abord quand on commence à voir le ciel ce dégager à l’horizon : on a l’impression qu’un second matin se lève dans la journée. C’est une deuxième aube. Et juste après, on voit les collines et la nature qui respirent et soupirent, quand des gros nuages de vapeur se décrochent de la végétation pour rejoindre le ciel. C’est magnifique, comme le retour de la lumière dans un soupir de soulagement.

La campagne autour de Decazeville après la pluie.

La campagne autour de Decazeville après la pluie.

 

 

Ironie du sort : hier, après le départ, au Pont d’Artigues, j’ai été rejoint par un chien perdu sur le Chemin. J’ai d’abord essayé de faire en sorte qu’il ne me suive pas trop longtemps, pensant qu’il valait mieux qu’il ne s’éloigne pas trop loin de chez lui… Et puis sous la pluie, avec tout l’attirail… J’ai laissé tomber. Le chien m’a suivi.

Quand la pluie a diminué, j’ai essayé d’appeler les numéros de téléphone gravés sur son collier. J’ai retrouvé sa maîtresse, et j’ai appris que le chien était une chienne prénommée « Happy »!!!… Un jour de pluie : quelle ironie! Happy m’a accompagnée pendant 10 km, jusqu’au prochain village, Montréal du Gers, où sa maîtresse est venue la rechercher. Et moi, j’ai pris un café et une longue pause avant de repartir… Sous la pluie…

"Le chemin est beau parce que j'y suis".

Le chemin est beau parce que j’y suis.

Pèlerin? Marcheur? Randonneur? Voyageur à pieds? Je me pose cette question tous les jours, depuis 10 jours au moins. Ça revient presque à se poser la fameuse question : « pourquoi je marche? ». J’en suis venue à me questionner parce que, lorsque j’ai à me présenter, dans un gîte ou un office de tourisme, j’ai du mal à dire « je suis pèlerine sur le Chemin de St Jacques et je voulais savoir…. ». Ça ne me vient pas naturellement : « je suis pèlerine »…
Après plusieurs discussions avec mes amis du Chemin, il s’avère qu’il demeure dans le terme « pèlerin » quelque chose de religieux. Et je sais que la religion n’est pas ce qui m’anime.

Marcheur? Randonneur? Ça ne me va pas non plus. Ça n’inscrit pas assez dans la durée de ce que j’ai entrepris.

 

Alors que suis-je? J’ai repris la définition et l’étymologie du nom « pèlerin » : il vient du latin peregrinus qui veut dire « étranger » ou « celui qui voyage ». C’est finalement ce sens là, sans la religion, qui correspond le plus à ce que je vis dans mon chemin : vagabonde, une pèlerine sans pèlerinage. Qui cherche le bout de la terre, plus que la tombe de l’apôtre.

 

En s’inscrivant dans la durée, en dépassant le temps ordinaire des vacances (une semaine à 15 jours), on entre dans l’extra-ordinaire et un nouveau réflexe se crée : celui de repartir tous les matins. A Figeac, puis à Cahors, je m’étais dit que m’arrêter 24h pour profiter serait peut-être sympathique. Et puis finalement non. Si on n’est pas obligé de s’arrêter, pour une raison de santé souvent, le matin, on fait son sac et on quitte le lieu qui nous a hébergé une soirée, une nuit. C’est ça, la vie de vagabond : une nouvelle normalité, l’automatisme du départ. On reste en mouvement. Et quand on s’arrête, c’est pour se poser 1h sur un banc dans un village désert où on pourrait compter sur les doigts d’une seule main le nombre de voitures que l’on a vu passer, ou pour aller prendre un café dans un bar PMU d’une petite ville sans intérêt (soit dit en passant : j’aurais pu proposer mes services au Routard pour faire un guide des meilleurs bars PMU sur le Chemin!… Là, je teste la terrasse du bar de la place de la cathédrale à Condom, dans le Gers : presque 28 degrès, boisson fraîche bienvenue! ?).

 

Une autre sensation propre au vagabondage, c’est celle de ne pas trouver sa place en ville. Les arrivées dans les villes sont déplaisantes, interminables. L’arrivée à Moissac cette semaine a fini de m’en dégoûter : 3 km à parcourir avant d’arriver dans un centre ville moche (à part l’abbatiale, circulez : rien à voir), 3 km le long des voies de chemin de fer, des nationales, sur des trottoirs trop petits, où il faut éviter d’accrocher les rétroviseurs avec les bâtons de randonnée et le sac à dos (note pour plus tard : l’arrivée dans Burgos et ses kilomètres de zones industrielles et d’aéroport bitumés me donnent le vertige rien qu’en y pensant…). Quand le vagabond entre en ville, il arrive dans un espace qui n’est pas fait pour lui et où tout le lui rappelle. Jusqu’au regard des citadins.
Pour expliquer cela, rien de mieux que l’extrait de la chanson de Daniel Balavoine :
« Quand on arrive en ville
Tout l’monde change de trottoir
On n’a pas l’air virils
Mais on fait peur à voir ».
Tout est là, même si lui parlait des zonards. J’ai parfois l’impression d’être un fruit exotique, en arrivant en ville…

Avec la coquille sur le sac, on se sent encore identifié et identifiable. Une fois la coquille déposée, plus aucun signe pour se faire reconnaître. On se promène dans des vêtements dépareillés et multi-usages (pour optimiser le poids du sac). A ce moment là, je me sens être un fruit exotique, en veste polaire et en tongs (rien d’autre, à part les chaussures de marche… Mais mes tongs sont dorées et imprimées python : l’honneur est sauf!…) dans la ville… J’ai du mal à me sentir à ma place. Et là encore, on préfère repartir.

 

Au bout d’un certain temps, au bout de 3 semaines, je me sens donc vagabonde, étrangère qui découvre des villages ensommeillés. Je suis si éloignée de ma vie habituelle, que j’ai l’impression d’être dans un autre pays, ou d’avoir changé d’époque (version « Les visiteurs » :  dans certains endroits, on a presque l’impression que le temps s’est arrêté avant l’invention de la machine à vapeur et la révolution industrielle…). Je suis en voyage à pieds et toujours en re-partance pour ailleurs, sans savoir où exactement, mais le but n’a déjà plus vraiment d’importance.

Cahors (15 mai 2016)

Cahors (15 mai 2016)

 

« Le camion n’est plus qu’un point. Je suis seul et les montagnes m’apparaissent plus sévères. […] Le pays me saute au visage. C’est fou comme l’homme accapare l’attention de l’homme. […] La solitude est cette conscience qui vous rend la jouissance des choses. […] Être seul, c’est entendre le silence ». 

Sylvain Tesson – Dans les forêts de Sibérie 

 

J’ai toujours trouvé que Sylvain Tesson avait une vision extrême de l’aventure, un côté « trash » parfois, et son expérience de 6 mois dans une cabane  sur les bords du lac Baïkal est une démonstration de l’extrémisme dont il est capable. Pourtant, je reste enchantée de le lire, pour ces phrases « choc » qui résonnent, et résonnent encore. Cet extrait choisi de son premier jour dans sa cabane, dépeint exactement la sensation que je ressens, le matin, les jours où je quitte seule  le gîte : « être seul, c’est entendre le silence ».

J’adore ce premier moment de la journée. Départ un peu avant 8h. L’air est encore frais. La rosée sur les herbes du bas côté mouille encore les chaussures. Je commence à marcher en silence, en écoutant les insectes, les oiseaux, et les coqs qui m’accueillent quand je traverse un hameau. Je finis de me réveiller avec la nature qui s’éveille, elle aussi. Avec le soleil qui monte dans le ciel, la chaleur qui arrive doucement. Et puis j’enlève ma veste au bout d’une heure. La journée peut commencer.

 

Ce que j’aime, c’est marcher comme ça, 1h30 ou 2h, jusqu’au prochain village. Et puis s’installer en terrasse, même quand il fait gris. Commander un café. Et attendre les autres pèlerins qui arrivent au compte goutte. L’un et l’autre qui me rejoignent pour un café. Le premier repart vite, pressé d’arriver, l’autre s’installe et on en commande un second. Un troisième arrive et reprend un petit déjeuner ou décide de déjeuner en fin de matinée. Il est 11h. Je croise dans le village ceux qui sont partis à 6h et qui finissent leur étape, les trois alsaciens « lèvent tard » qui arrivent doucement, alors que je repars pour 2h de marche avant ma pause déjeuner. Je suis de ceux qui préfèrent marcher 15 km avant le déjeuner, plutôt qu’après. A chacun son rythme. Mais on se retrouve toujours.

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Fait marquant de la journée : en arrivant au gîte, hier, je tombe sur cette note.

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Ça donne ça, avec vue sur le cimetière ???

Le jardin du curé, a Lascabanes.

Le jardin du curé, à Lascabanes.

3 ou 4 jours que je traverse les Causses, avec le sentiment d’être presqu’en Écosse en regardant le ciel gris. Les autochtones, eux-mêmes surpris de servir de la soupe en plein mois de mai, nous certifient que ce temps frais et pluvieux est inhabituel… Plus que la météo, ce qui m’a marqué jusque-là, dans la traversée des Causses, ce sont les cultures de chênes (pourquoi? Les truffes??? Vu les barbelés autour des parcelles, on se demande) et celles de cailloux… Oui, oui, des cailloux, genre calcaire. Il y en a des champs entiers, où rien ne pousse. Démonstration :

Les Causses.

Les Causses.

Le Chemin dans les forêts de chênes.

Le Chemin dans les forêts de chênes.

Les champs de pierres.

Les champs de pierres.

En bref, des chemins très agréables, une terre qu’on sent pauvre, des paysages pelés que j’affectionne et très peu d’habitations.

 

Mais ce que je retiens des Causses, c’est aussi les indications du Chemin vers Compostelle pour le moins confues (vous ne voyez peut-être pas bien, mais Cajarc est inscrit 2 fois, dans 2 directions différentes, avec 2 kilométrages différents, sur ce poteau qui porte l’indication GR 65 de tous les côtés… Concentration indispensable…).

Tous les chemins mènent à Varaire.

Tous les chemins mènent à Cajarc.

 

Les burons en pierres sèches qui servaient (ou servent encore) aux bergers :

Buron des Causses.

Buron des Causses.

 

Les chenilles vert fluo… Une éternité que je n’en avais pas vues autant. Elles sont pendues par un fil de soie depuis les branches des chênes et il n’est pas rare qu’on les collecte en passant… Dans les cheveux, la capuche, les manches….

Les chenilles des Causses

Les chenilles des Causses.

 

Et le mauvais goût de certains, pas propre aux Causses, j’en conviens…

La gouttière...

La gouttière à tête de grenouille…

 

 

Fait marquant des deux derniers jours : mon premier « monument champêtre » à la gloire de la coquille Saint-Jacques… Uniquement en coquilles Saint-Jacques, toutes colorées, et qui font « bling bling » avec le vent (j’avais bien dit « mauvais goût »). Tout le village de St-Jean-de-Laur a du s’y mettre.

Le sacre de la coquille Saint-Jacques.

Le sacre de la coquille Saint-Jacques.

Quand je suis arrivée sur ce « monument », je marchais avec un Jean-Claude qui dit « mais qu’est-ce que c’est que ça? » devant presque tout ce qu’il voit, et ensuite, il sort l’appareil photo pour immortaliser l’objet de son interrogation… C’était un peu surréaliste… Voire beaucoup…

J’ai du mal à dire au revoir aux gens. J’ai du mal et j’ai mal, même, parfois. J’y ai pensé toute la journée, aujourd’hui, en marchant seule après avoir laissé Nadine et Didier sur la route de Rocamadour. Il y a quelques jours, ça avait déjà été le tour de Denis et Bernard, à Estaing. Voilà donc presque 15 jours que je marche et déjà quelques « au revoir ».

Je sais dire au revoir et quitter des lieux, des situations ou circonstances, mais j’ai souvent plus de mal à quitter les gens avec lesquels il y a eu une forme de partage. Ceux qui ont partagé une semaine ou quinze jours de vacances. Ceux avec qui j’ai étudié ou travaillé. Et sur le Chemin de St-Jacques, c’est parfois ceux avec qui j’ai marché, un peu, beaucoup, ou ceux avec lesquels on a passé une soirée chaleureuse. Et ce sera même sans doute ceux avec qui je passerai une heure seulement, mais chacun aura traversé la vie de l’autre. Quelqu’un m’a dit un jour qu’on est fait des gens qu’on rencontre. Le Chemin aussi est fait des gens qu’on rencontre, et qu’on garde un peu avec soi, pour le reste de la route.

 

Hier a été une journée « surprise » : la pluie était annoncée (encore… Je reviendrai plus tard sur ce que c’est que de marcher sous la pluie toute une journée…) et on a finalement eu grand beau pour quitter l’Aveyron et fouler les chemins du Lot. Au fur et à mesure des kilomètres, on voit les paysages changer, les pierres passent du gris à l’ocre, la tuile remplace l’ardoise, les moutons prennent la place des Aubracs dans les prés, le Cahors remplace le Marcillac dans les verres : tout semble nous dire qu’on avance!

De l'Aveyron au Lot (25 km).

De l’Aveyron au Lot (25 km).

 

Et voilà la « recette du jour », celle qui permet de soigner une tendinite naissante.

L’astuce du chef : l’ingrédient le plus important, c’est le 3 bis, dit « ingrédient miracle »… Pas toujours fastoche à trouver (d’ailleurs, s’il est en 3 bis, c’est que je l’avais moi-même oublié…) mais indispensable.

La recette "tendinite".

La recette « anti-tendinite ».

 

Deux choses m’ont fait choisir la Via Podiensis qui part du Puy-en-Velay : traverser le plateau de l’Aubrac, et retrouver Pierre Soulages à Conques, ou plutôt, ses vitraux dans l’abbatiale.

Il y a un an et demi, la visite du Musée Soulages à Rodez avait généré chez moi un vrai coup de foudre. Depuis, j’ai gardé un dépliant touristique sur Conques et je me disais que j’irai, un jour.

J’y suis. Et je ne suis pas déçue. Je suis déjà fan des contrastes entre les périodes et styles artistiques : j’aime les colonnes de Buren dans la cour du Palais Royal, la Pyramide du Louvre et même le Centre Georges Pompidou. Et j’ajoute à la liste les vitraux de Soulages. J’aime leur simplicité gracile, qui laisse intact le côté brut du style roman de l’abbatiale, tout en y apportant une certaine douceur. J’aime les mouvements doux qu’ils apportent à l’édifice robuste. Ce matin, pour arriver à Conques, mon compagnon de Chemin du jour et moi avons traversé des paysages battus par un vent très fort. Sur les champs de blé encore vert, on aurait dit qu’il y avait des vagues vertes, un peu ondulantes. Les mouvements des vitraux m’ont exactement fait penser à ces ondes sur les champs traversés ce matin.

Et la nuit, les vitraux sont encore plus beaux : ils deviennent bleu nuit et doré, presque couleur bronze. Pour moi, c’est là toute l’intelligence de Soulages : des vitraux qui évoluent avec la luminosité, comme ses Outrenoirs.

 

Et puis Conques correspond à mon dixième jour de marche depuis le Puy : un petit bilan s’impose!

Bilan technique et santé :

-J’ai passé la barre des 200 km ce matin (whaouuuuuu!!!!) : 209 km parcourus, « plus que » 1 313 km jusque Santiago…

-Pour arriver jusque-là : aucune ampoule aux pieds à déclarer (viva la pommade NOK!!!! Hip Hip Hip! Hourrrraaaa!) et pas de gros bobo (pour le moment).

Mes mollets douloureux et raides le matin, en descendant les escaliers, ont pris l’habitude des 20 bornes de moyenne par jour… Le plus dur, pour moi, c’est le sac à dos. Les 4 ou 5 premiers jours (donc 50% du temps quand même…) mon dos n’a été que douleurs. Les lombaires en feu le 1er jour, les épaules le lendemain, et qui me font toujours souffrir dès que je suis fatiguée (j’en fais un indicateur : épaules qui font mal = arrête-toi). J’ai eu les os des hanches (sur lesquels repose la sangle du sac à dos) douloureux aussi. Bref, il y a des jours, je rêverais presque de mon ostéopathe!…

Comme me le disait un « amoureux du Chemin », croisé à St-Chély, alors qu’il emmenait ses amis jusque Conques : « je pouvais leur expliquer la marche, l’ambiance, les paysages, les gîtes. Mais ce que je ne pouvais pas leur raconter et qui est une partie importante du Chemin, c’est la douleur ». Et il a raison. Non pas que le mal nous amuse, nous, pèlerins, mais notre corps, notre moyen de transport, est devenu notre plus importante préoccupation. Quand on marche, on devient hyper-sensible au moindre ressenti, au moindre tendon qui tire (celui du pied droit en ce qui me concerne), au moindre muscle qui faiblirait, au moindre caillou qui amènerait au faux pas. Les uns s’arrêtent 24 h, le temps de faire cicatriser une mauvaise ampoule qui leur a laissé le talon à vif, les autres se trouvent un bâton dans les bois pour soulager une hanche qui fait mal ou une cuisse qui tire dans les montées. Perso, je me fais des onguents de crème à l’Arnica sur les jambes les soirs des étapes difficiles. Étirements du dos et des mollets tous les jours. En fait, on réapprend à écouter son corps et ce qu’il veut nous dire. Ça paraît simple, mais nos habitudes nous ont souvent éloigné de ce bon sens, malheureusement.

-Dans le bilan technique, je peux ajouter -2 kg dans mon sac à dos, dont 1,5 kg dégagés au bureau de poste de St Alban sur Limagnole (on m’avait prévenue!!!) :

-« Quoi??? Tu as largué ton sac de couchage??? Mais tu feras comment en Espagne, sans couverture, ni sac de couchage???

-Tant pis, je dormirai toute habillée s’il fait froid. »

 

Bilan du reste, quelque part entre le moral, le mental et le spirituel :

Dans l’ensemble, je dirais « bon, quoi qu’un peu mitigé parfois ». Bon, parce que ça va, globalement. Il y a certes des matins où c’est plus difficile de prendre la route que la veille, mais globalement, ça va.

Et parfois, je suis étonnée, mitigée, tiédasse : je constate que jusque-là, j’ai rencontré peu de gens qui parcourent le Chemin en mode « lâcher prise », en mode « je vais là où mes jambes me porteront ». Ça me surprend. Il paraît que ceux-là, je les retrouverai sur la longueur, plus tard. Pour le moment, face à la grande liberté que peut offrir le fait de parcourir un chemin comme on le veut, j’ai l’impression que beaucoup se recréent des contraintes, des freins, des cadres.

La « réservationnite aiguë » due au week-end de l’Ascension m’a pris la tête quand on me demandait dès 9h du matin, une semaine avant :

-« T’as réservé pour ce soir?

-Non.

-T’as réservé pour le pont de l’Ascension?

-Non plus ». Ce qui m’a certes valu d’avoir du mal à trouver de quoi dormir pour 3 nuits, mais j’ai trouvé.

Il y a ceux qui suivent texto les étapes des guides :

-« 33 km demain, c’est énorme, j’y arriverai pas!

-Ben arrête-toi plus tôt.

-Oui, mais le guide met 33 km pour l’étape suivante!

-…?!!?… »

Et il y a les sportifs, qui se chronomètrent presque, se dopent à l’aspirine le soir, se donnent 1 mois pour telle distance, ou 50 jours pour aller du Puy à St-Jacques…

Moralité : ça donne l’impression que de se laisser ré-apprivoiser par la liberté d’être, de choisir, d’avancer ou non (la Liberté, quoi), ce n’est pas si simple… À méditer…

 

 

Fait marquant de la journée : en appelant pour trouver mon hébergement du jour à Conques, je demande s’il y a une épicerie dans le village. On me répond :

-« Non, l’épicerie de Conques a fermé et n’a jamais été réouverte. Si vous cherchez une reconversion, ça peut être une excellente idée, ce serait bien utile!

-…?! »

Et tout à l’heure, j’ai adoré une maison magnifique chargée de glycines dans le village. En la prenant en photo, je me suis rendue compte qu’elle était à vendre… Coïncidences??? ?

La maison aux glycines - Conques

La maison aux glycines – Conques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Y’en a marre! Ras le bol des touristes et autres « randonneurs du dimanche » qui viennent marcher 3 jours pour le « pont » de l’Ascension! Non seulement, ils  narguent les pèlerins en nous doublant dans les montées interminables avec leurs petits sacs à dos de 2 kg à peine, mais en plus, ils nous piquent les lits dans les gîtes d’étape!!  En ce week-end prolongé, les pèlerins galèrent pour trouver un lit dans un gîte (je parle d’un truc pour dormir, un matelas sur le sol fait l’affaire, je ne parle même pas d’une chambre), tandis que les touristes arrivent en groupe, piquent les places, tout ça pour payer moins cher. Tout simplement SCANDALEUX!

Hier, j’ai passé 2 heures à appeler tous les points de chute possibles entre Espalion et Conques. Après plus de 22 km compliqués sous une chaleur arrivée en un claquement de doigt, j’avais espéré une fin de journée différente! Un gîte d’étape devrait imposer la crédenciale (sorte de « passeport du pèlerin ») à l’entrée des gîtes. J’ai envie de les insulter quand j’en vois un passer!!!!!!!!!

Et comme m’a dit le Père Michel de l’Abbaye de Ste-Foy à Conques, hier au téléphone, après m’avoir expliqué que le dortoir de l’Abbaye était déjà complet 4 soirs de suite (dortoir de près de 100 places) : « et surtout, excellente Ascension »… Ben voyons…

 

Fait marquant de la journée : hier, je suis passée à St-Côme-d’Olt, village-bijou sur les bords du Lot, idéal pour une semaine de vacances. À recommander et à retenir pour plus tard. Sur mon dessin, c’est le toit de la flèche de l’église qui se tord comme une flamme vers le ciel.

St-Côme-d'Olt

St-Côme-d’Olt

 

 

 

 

 

Hier, je voulais déguster le plateau de l’Aubrac. Une étape dans les champs de jonquilles s’imposait!

Rieutort d'Aubrac

Rieutort d’Aubrac

Vous voyez les yourtes à droite de la photo? Ben je me suis arrêtée là, dans une yourte. Au programme : une nuit fraîche (-3 degrès dehors, environ 15 dans la yourte) réchauffée par un « sac à viande » en Thermolite, une couverture, une double couette, et des chaussons en laine ;-). Croyez-le ou non : j’ai dormi comme un bébé.

 

Départ à la fraîche, toujours, au petit matin. Ça donne ça, à 7h45 :

Un peu après Rieutort

Un peu après Rieutort

 

Puis ça, à 9h00 à Nasbinals :

Nasbinals - 9h20

Nasbinals à 9h00

Au passage : Rieutort – Nasbinals, c’est 7 km… Parcourus en 1h15… C’est le métier qui rentre ?

 

Vers 10h30-11h00, j’en suis là, quelque part sur le plateau :

Quelque part, dans la matinée...

Quelque part, dans la matinée…

Le chemin « un peu défoncé » au premier plan, plein d’ornières, c’est le Chemin de Saint-Jacques : idéal pour les entorses et les gamelles qui font mal avec un gros sac sur le dos… Non, je ne me suis gamélée, mais je chérie mes chaussures à tiges hautes qui ont protégé mes chevilles plus d’une fois!

 

Vers 13h, arrivée au bout du plateau, lieu dit « le bout de l’enfer »… C’est pas moi qui l’ai dit… Et on attaque la descente vers Saint-Chély d’Aubrac et son « pont des pèlerins » :

Saint-Chély d'Aubrac vers 15h00

Saint-Chély d’Aubrac vers 15h00

 

Plusieurs faits marquants de la journée : le 1er, c’est un paysage qui n’a rien à voir entre le matin sur le plateau, et la fin d’après-midi à Saint-Chély (les températures non plus, n’ont rien à voir…).

Le 2ème, très jacquaire : à Saint-Chély, on trouve la coquille stylisée de Saint-Jacques peinte en blanc sur le bitume, comme un signe de la circulation, et même sur les plaques d’égouts…

Plaques d'égouts - St Chély

 

Aujourd’hui, dans cette immensité, j’ai eu plus d’une fois une pensée émue en me remémorant cette soirée passée dans un buron sur ce même plateau, il y a quelques années. C’était en juin, et on se réchauffait à coup de verres de gentiane sur la terrasse, à croire que le vent est toujours froid dans ce pays. On avait enchaîné sur un vin rouge, de la truffade ET de l’aligot (c’était pas une soirée light…), tandis que certaines attisaient le feu au bouffadou. Et bien sûr, on avait ri, beaucoup. Je garde un souvenir impérissable de ces moments, et du petit bout du Chemin parcouru ensemble cet après-midi là… 😉

C’est l’histoire d’un belge, d’une australienne et de deux parisiens qui se retrouvent il y a trois jours au « Pain de Sucre », le bar-tabac de Monistrol-d’Allier qui n’a d’exotique que son nom. Pas de caipirinha, pas de samba au fonds des gorges de l’Allier, mais un petit coin chaud (c’est tout ce qui compte quand on vient d’essuyer une averse de grêles dans la descente accidentée) où on cause entre pèlerins :
-« Tu la sens comment, toi, la montée vers Saugues? Il est midi.
-Moi, je continue. J’ai réservé à Saugues.
-Pas envie de m’arrêter là.
-I’ll carry on too ».
Depuis le matin, déjà 14 km, et pour aller à Saugues, c’est 12 km de plus tout en montée, pas de gîte annoncé pour écourter, et ça commence par une sortie de Monistrol dont le dénivelé est à faire pâlir un pèlerin.
Nous sommes donc partis à petits pas, tels des tortues, avec nos sacs à la place de la carapace. Des tortues bleue, orange ou verte… On a avalé les 7 premiers km, contents d’être ensemble pour se motiver, tant dans les montées que lorsqu’on perd le balisage du GR65 et qu’il faut faire demi-tour (…). Les 5 derniers km nous ont semblé interminables. Et on arrive « sur les genoux » à Saugues, mais dans la bonne humeur.
Tellement de bonne humeur que le lendemain, on se donne rendez-vous pour l’étape suivante, pour affronter la neige et le froid. Mais la neige et le froid, ensemble.

 

Malgré les -1 degrés au départ (et guère plus ensuite), le vent fort, la neige et la pluie verglaçante (je suis formelle : pas de muguet en Margeride cette année pour le 1er mai…), nous avons cheminé, discuté, et ri, ri, et ri encore. Le rire réchauffe, le cœur et le reste.

Nous avons ri en arrivant dans ce corps de ferme où nous avons recupéré Laars, un suédois qui demandait des « bocadillos » au paysan hirsute devant tant d’affluence dans sa grange. N’empêche que le paysan nous a servi un chocolat chaud providentiel et délicieux.

Le bec sucré du 1er mai

Le bec sucré du 1er mai

Nous avons ri encore en discutant Eurovision sur le Chemin (ABBA vs. Marie-Myriam… Suspens insoutenable…), en philosophant tout l’après-midi dans une chambre surchauffée une fois arrivés à l’étape.

 

Nous avons encore marché tous les 4 aujourd’hui, mais nous savons déjà que demain sera un autre jour. Qu’importe, ces moments font désormais partis de nos chemins.

Ensemble, c’est tout, et c’est déjà beaucoup.

 

[NDLR : j’inaugure ici une rubrique « fait marquant de la journée ». Attention : anecdotes croustillantes en perspective… 😉 ]

Fait marquant de la journée :  dans la montée du Villeret-d’Apchier, hier, on s’est fait doubler par un gars qui courait sur le Chemin avec un sac à dos de 4 kg à vue de nez (suis devenue spécialiste du pesage de sac « à vue de nez »…). Sur le coup, on n’y a pas cru (et on a ri…) mais nous ne rêvions pas : ce gars tout vêtu de lycra vert fluo fait bien le Chemin de Compostelle en courant (?!).

 

Un 1er mai en Margeride

Un 1er mai en Margeride

 

Paris - Lyon

Paris – Lyon

Ce matin, embarquement sous le soleil à la Gare de Lyon. Mon sac et moi prenons place pour deux heures de train dans une ambiance du genre espace bagage vide, costume-cravate-boutons de manchettes, portables et smartphones à gogo.

Au milieu, une coquille Saint-Jacques est en tête à tête avec une tablette de chocolat Milka au Daim (une tuerie!!). Ça sent « l’aller-retour Paris-Lyon dans la journée » à plein nez autour de moi. Je soigne mon impression de décalage en écoutant les Ogives d’Erik Satie, solennelles juste ce qu’il faut pour la situation.

 

Autre train, autre ambiance : le Lyon – Le-Puy-en-Velay est une histoire de Saints : 3/4 Saint-Etienne, 1/4 Saint-Jacques. Le train part « plein comme un œuf » de Lyon, se vide aux 3/4 à Saint-Etienne, et avec le quart restant, on se retrouve entre coquilles Saint-Jacques.

Lyon - Le Puy

Lyon – Le Puy

Et que se disent des coquilles Saint-Jacques, quand elles croisent d’autres coquilles Saint-Jacques? Elles se racontent des histoires de coquilles Saint-Jacques! « Tu viens d’où »?, « Tu vas jusqu’où? », « Camino Francès ou Camino del Norte? », « aaah?! Camino Primitivo! »…

Un Lyon – Le-Puy-en-Velay laisse donc le temps de discuter avec Cathy & Dominique de Lorraine, Claire de Toulon, d’aider un Australien perdu sur le quai au Puy avec un gros sac sur le dos (l’indice infaillible) et de rencontrer pour la première fois Bernard, en provenance de Bruxelles. Et demain, on retrouve tout ce petit monde à la messe de 7h à la cathédrale (THE place to be au Puy…).

 

En allant au « Café des pèlerins », j’ai encore complété mon carnet d’adresses avec les « personnages » du Chemin, à ne pas manquer : Régine (la même que la tienne, Jonathan) qui fait la misère aux pèlerins dans son resto routiers, Thérèse qui n’accepte dans son gîte « que les pèlerins qui n’ont pas réservé », et Amar, la star de la tendinite de Saint-Jean-Pied-de-Port, ex-médecin dans la légion algérienne… Que du beau monde à rencontrer!

 

Quelques jours plus tard, au détour d’une rue parisienne, je me retourne sur une ardoise postée à l’entrée d’un café. Sur cette ardoise, la citation d’un sage indien. Je la prends en photo, pour plus tard.

Encore dix jours plus tard, et 12 000 km plus au sud, en voyage en Namibie, je passe à Swakopmund, l’une des trois « grandes » villes de Namibie. Celle-ci a la particularité d’être « deux fois en bordure » : en bordure de l’Atlantique, et en bordure du désert du Namib. Une promenade dans ses rues désertes nous porte, Marie-Armelle et moi, devant une fresque colorée. Au milieu de la fresque, je retombe nez à nez avec la citation et Gandhi. Le sage s’est « africanisé », il a pris dans les joues, les lèvres et le nez (?!), mais la citation est la même : you must be the change you wish to see in the world, sois le changement que tu souhaites voir dans le monde.

DÉCLIC!

Il ne s’agit pas d’être Superman, et de régler tous les problèmes du monde entier, il s’agit de prendre conscience que chacun est acteur dans son écosystème. Si tu veux que ton écosystème change, change d’abord. Ça demande de réfléchir, certes, de travailler, aussi, d’agir, surtout. Ça demande du temps, de la patience, du courage… A ce moment là, je crois qu’inconsciemment tout est déjà là. Reste à faire le chemin (et aussi mon Chemin) pour passer de l’inconscient au réel, et par toutes les étapes intermédiaires.

ArdoiseGandhi

 

La première fois que j’ai entendu parler du Chemin de Compostelle, c’était à une séance de marche nordique :

– « Tu fais quoi, pour les vacances ?

– Cet été, je pars une semaine marcher sur le Chemin de Compostelle.

-Ah bon?! Toute seule?

-Ben oui. Tu sais, sur le Chemin, on n’est jamais vraiment tout seul.

-Ah bon… »

Et puis, viennent ceux qui ont parcouru le Chemin une semaine, ou deux, un mois, puis une collègue, qui elle, l’avait parcouru de bout en bout. A traîner mes guêtres dans les festivals de films de voyages, le Chemin revient souvent. Pas un festival sans qu’on entende parler de Compostelle, sans qu’un film y soit consacré au programme, entre la descente de l’Amazone en radeau, et le tour du monde en vélo. Pas un festival sans qu’on croise à la pause un ancien pèlerin qui en parle avec des étoiles plein les yeux et qui ne souhaite qu’une chose : y retourner.

Les connaissances deviennent des amis, et certains sont « des passionnés du Chemin », à en rêver la nuit. Jusqu’à ce jour de 2015 où l’un d’entre-eux me dit « tu devrais aller voir le film Compostelle, le Chemin de la Vie. Ça te parlera, j’en suis sûr ».

Ce premier lundi d’août 2015, je débute donc mes vacances d’été au St André des Arts, dans une salle quasi déserte. Ce film, c’est une suite de témoignages de pèlerins, de paysages de la France à Santiago de Compostela, des états d’âmes, des hauts et des bas, et une métaphore filée qui les accompagne : celle du jeu de l’oie, un jeu qui est à lui seul symbole d’un chemin de vie.

En sortant de la salle, je n’ai plus la même chose en tête. Je veux vivre ça. Je veux ce que je viens de voir.

déclic!

Deux heures plus tard, je commence mes recherches pour trouver le sac à dos qui m’accompagnera à Compostelle.

Le vendeur : « Je peux vous aider ?

-Bonjour. Oui, vous pouvez : je vais partir marcher pendant 3 mois, et je cherche un sac à dos que je peux porter pendant des journées entières de marche. »